Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Réunion du jeudi 4 avril 2024 à 14h30

Résumé de la réunion

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  • ferme
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La réunion

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La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

La commission procède à l'audition de M. Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne.

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Après avoir commencé ce matin les auditions des syndicats agricoles avec la présidente de la Coordination rurale, nous recevons M. Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne, que nous remercions pour sa présence.

Il nous a semblé important d'entendre les représentants de l'ensemble des syndicats agricoles pour échanger à propos de la souveraineté alimentaire et, plus globalement, de l'agriculture française, afin de recueillir tous les points de vue.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Galais prête serment.)

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Merci de me recevoir, et à travers moi d'entendre la Confédération paysanne sur l'objet de votre commission d'enquête.

En préambule, nous souhaitons rappeler notre définition de la souveraineté alimentaire, telle qu'elle a été établie par La Via Campesina et qui est reconnue internationalement : il s'agit du droit des peuples à choisir et à produire une alimentation saine et de qualité pour tous et pour toutes, avec une information et une éducation correctes sur ce choix. La priorité est donnée au rôle nourricier de l'agriculture, et il s'agit de sortir de la logique qui promeut l'insertion des produits agricoles dans l'économie mondiale.

Ce rappel préalable me semblait nécessaire car, si la notion de souveraineté alimentaire est au cœur des débats politiques actuels, elle n'est pas interprétée par tous de la même manière.

Quelles sont nos propositions ? La France dispose d'atouts pour maintenir sa souveraineté alimentaire grâce à son climat, au pouvoir agronomique et à la culture paysanne, mais aussi à une réserve de jeunes motivés par le métier de paysan. Pour eux, ce métier a du sens précisément parce qu'il consiste à nourrir les populations.

On peut aussi relever des failles, parmi lesquelles figurent l'accaparement du foncier par une poignée d'agriculteurs au service de l'industrie et l'artificialisation des terres agricoles – notamment en raison de la construction d'infrastructures, telles que les autoroutes, et de logements, en particulier dans les zones côtières.

La baisse du nombre de fermes est dramatique en France, puisque l'on est passé de 1 million de paysans à 400 000 entre les années 1990 et aujourd'hui. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) prévoit qu'ils ne seront plus que 270 000 dans les années 2030. Selon nous, c'est une catastrophe qui empêchera d'assurer une souveraineté alimentaire complète.

On peut aussi mentionner, parmi les failles, les politiques qui favorisent l'agrandissement des exploitations et la concentration de la production entre les mains de quelques-uns. On peut également regretter la concentration accrue des acteurs industriels, avec l'émergence de géants de la transformation des produits agricoles dans certaines filières, comme la viande et le lait. Il en résulte une captation de la valeur ajoutée par ces entreprises en situation de quasi-monopole, au détriment du travail des paysans et des paysannes, donc de leurs revenus. Le problème du revenu des agriculteurs était d'ailleurs au cœur de la colère agricole, et nous l'avons mis au premier plan de nos revendications.

On peut aussi déplorer l'absence de transition agroécologique et la disparition du pouvoir agronomique du fait de la réduction de la biodiversité et de la pollution de l'eau. Les sols sont de moins en moins productifs et il faut de plus en plus d'intrants pour maintenir une certaine productivité.

Tout cela fragilise la capacité de la France à garantir sa souveraineté alimentaire. On constate aussi une concurrence accrue entre la production d'énergie et la production agricole, tant pour obtenir du foncier qu'au sein même des exploitations agricoles, dans lesquelles cette production d'énergie représente une part croissante du revenu.

Enfin, du fait de l'industrialisation des modes de production, nous sommes très dépendants du pétrole, des engrais et des pesticides.

Il est selon nous impératif de sortir l'agriculture des logiques de marchandisation engagées depuis cinquante ans. Elles alimentent le commerce international et profitent aux géants de l'industrie, mais ne permettent pas d'atteindre la souveraineté alimentaire telle que je l'ai définie, c'est-à-dire nourrir les peuples avec une alimentation saine et de qualité.

Nous avons besoin d'indicateurs pour savoir comment nous situer par rapport à une souveraineté alimentaire nourricière. Le premier serait une mesure de l'accès effectif de la population à une alimentation saine et suffisante, avec, par exemple, une référence à la proportion de ceux qui souffrent de précarité ou d'insécurité alimentaire.

Il faut aussi se pencher sur les méthodes de production en vérifiant leur degré de durabilité, notamment au vu de la quantité des émissions de gaz à effet de serre et de l'évolution de la biodiversité.

Le maintien des droits des paysans est un indicateur important pour nous, de même que leur nombre et leur niveau global de revenu. On peut, pour cela, considérer la part des ménages agricoles vivant sous le seuil de pauvreté. Savoir que les agriculteurs et les agricultrices vivent correctement de leur métier est un critère important.

La facilité d'accès à la terre détermine aussi le nombre de paysans, puisqu'elle conditionne l'installation de nouveaux agriculteurs et le renouvellement des générations. C'est un problème majeur. Il est impossible d'imaginer une souveraineté alimentaire complète si le premier maillon de la chaîne cède. Or, je le répète, la situation est de ce point de vue catastrophique. Nous faisons face à une hémorragie. Le nombre de producteurs de lait a par exemple été divisé par cinq en quarante ans.

Ce renouvellement était aussi l'un des enjeux du projet de loi d'orientation agricole, lequel n'apporte selon nous aucune réponse à la hauteur du problème. Nous allons faire face à des départs massifs à la retraite dans les années à venir ; or il faut assurer le renouvellement des générations si l'on veut pouvoir espérer maintenir notre capacité de souveraineté alimentaire.

Autre indicateur : le rééquilibrage des échanges internationaux, mesuré par le taux de couverture de la consommation par la production nationale. Il convient aussi de prendre en compte notre dépendance vis-à-vis d'autres pays pour des produits qui contribuent à la production – comme le soja, qui vient compléter le maïs pour alimenter notamment les vaches laitières.

Enfin, il faut développer des systèmes alimentaires territorialisés à travers un maillage d'outils nous permettant de relocaliser la production et d'assurer une consommation de proximité. Nous devons évidemment nous appuyer sur les projets alimentaires territoriaux (PAT) et sur les acteurs locaux, les départements et les régions.

Certains outils collectifs devraient appartenir aux paysans : je pense notamment aux abattoirs, dont le nombre baisse de manière sensible. Comment peut-on espérer maintenir de l'élevage en France si les paysans et les paysannes ne peuvent pas emmener leurs animaux se faire abattre à proximité, en vue d'être consommés localement ? La concentration extrême dans le secteur des abattoirs est un réel problème pour les éleveurs.

Désormais, la question est celle des moyens que l'on se donne pour répondre à ces problèmes et au déclin, attesté par les indicateurs, de la souveraineté alimentaire.

Pour nous, il convient en premier lieu de revoir la gouvernance de l'agriculture afin de permettre à l'ensemble des partenaires – y compris les syndicats – d'infléchir les orientations grâce aux chambres d'agriculture et aux organismes de gestion du foncier agricole. Ce n'est pas le cas, car la répartition opérée lors des élections professionnelles n'est pas faite correctement. Nous insistons pour que l'on adopte le scrutin proportionnel lors des élections professionnelles, afin qu'une meilleure représentativité permette d'orienter l'agriculture vers l'objectif de souveraineté alimentaire. Cela aura des effets sur l'ensemble des instruments de gouvernance de l'agriculture, qu'il s'agisse de la régulation du foncier ou des interprofessions, ainsi que sur le rapport de force dans les chambres d'agriculture. C'est fondamental.

Autre moyen : réguler les marchés. Pour cela, il est nécessaire de réduire la part des produits agricoles issus de pays tiers. J'en ai déjà parlé en évoquant l'exemple très éclairant du soja. On avance souvent que son importation permet d'atteindre une certaine productivité dans les fermes qui y ont recours ; mais si l'on rapporte aux litres de lait produits les surfaces qui ont été utilisées pour produire le soja importé, on s'aperçoit qu'il tout à fait possible de produire la même quantité de lait avec un modèle plus résilient et plus protecteur des ressources et de l'eau, tel le modèle de l'élevage à l'herbe.

Il convient aussi de contrôler la répartition de la valeur ajoutée, ce qui permettra de garantir un revenu à partir du prix. Il faut aussi procéder au contrôle et à la répartition des volumes.

Une fois encore, la filière laitière offre un bon exemple. Elle souffrira en raison de la diminution drastique du nombre de producteurs. Dès lors, comment assurer une production suffisante, à la hauteur de nos besoins ? Nous jugeons nécessaire un prix garanti assorti d'un contrôle et d'une gestion des volumes.

Les politiques de soutien agricole doivent aussi être revues ; aussi avons-nous beaucoup milité pour une réforme de la Politique agricole commune (PAC). Il faut tout particulièrement soutenir les petites fermes si l'on veut maintenir un maillage de paysans sur le territoire. Nous devons en finir avec les aides surfaciques de la PAC, qui favorisent l'agrandissement de la taille des exploitations et leur industrialisation tout en entraînant une baisse du nombre de paysans et de paysannes. Revoir la répartition des aides dans les politiques publiques, en particulier celles versées au titre de la PAC, devrait être une des mesures majeures et prioritaires.

Il est également nécessaire de mieux soutenir les secteurs en difficulté. Nous importons 50 % des fruits et légumes que nous consommons. C'est un vrai problème, qui résulte du fait que l'on a spécialisé notre agriculture et que sa production est de moins en moins diversifiée. Les fruits et légumes sont des aliments de base qui devraient être produits chez nous : il est aberrant d'importer la majeure partie de ce que nous consommons. Il faut donc soutenir ces filières en favorisant les modes de production vertueux, agroécologiques, qui protègent les ressources naturelles et donnent du sens au métier de paysan.

Pour assurer le renouvellement des générations, de vrais moyens doivent être donnés à ceux qui veulent s'installer. Nous recevons beaucoup de jeunes motivés par le métier d'agriculteur, et, désormais, moins de la moitié d'entre eux sont issus du milieu agricole. Mais il leur est difficile d'accéder aux capitaux et aux outils de production. Il faut aussi leur permettre de trouver du foncier ; or la course à la productivité et à la croissance des exploitations renforce le phénomène d'accaparement des terres. Il faut donc mieux réguler et partager le foncier pour permettre à ceux qui ont des projets d'installation de le faire facilement.

Faciliter la transmission des fermes est un enjeu majeur. Une grande partie des paysannes et des paysans sont proches de l'âge de la retraite et nous devons éviter que leur départ ne contribue au phénomène d'agrandissement des exploitations.

Des mesures fiscales sont nécessaires pour faciliter la transmission, de même qu'un travail en amont pour mettre en relation ceux qui partent et ceux qui souhaitent s'installer.

Nous devons aussi mener une véritable politique d'aménagement du territoire afin de concilier la production agricole et l'habitat dans les territoires ruraux. De plus en plus de jeunes souhaitent s'installer dans l'agriculture, y compris, parfois, en reprenant une grande ferme à plusieurs. Cette approche collective permet de partager les risques et les capitaux tout en limitant la pénibilité. Mais où ces jeunes peuvent-ils habiter ? On connaît la difficulté du métier et la longueur des journées de travail, et être paysan a davantage de sens quand on vit dans sa ferme. Pour rendre cela possible, il faut des outils de régulation et de contrôle de la spéculation immobilière. J'habite près de Saint-Malo, non loin de la côte, et l'on voit bien les problèmes causés à cet égard. Les jeunes n'ont pas les moyens de s'installer, si bien qu'il est impossible de maintenir un maillage de fermes au sein du territoire.

Il faut donc accompagner correctement ceux qui ont des projets d'installation et favoriser la diversité de ces accompagnements. Plusieurs organismes de formation et d'accompagnement interviennent déjà, mais il faut les soutenir de manière équitable afin que chacun trouve une structure qui corresponde à ses motivations. Nous connaissons beaucoup de jeunes qui souhaitent s'installer en mettant en œuvre des modèles qui répondent aux attentes de la société, qu'il s'agisse de l'urgence climatique ou du maintien de la biodiversité. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir une exploitation en bio ou en agroécologie paysanne ; pour les accompagner, la Confédération paysanne dispose d'un organisme qui œuvre en ce domaine.

Nous croyons beaucoup à la relocalisation de l'alimentation, au rapprochement de la production et de la population. Les gens ne savent plus comment ce qu'ils consomment est produit. Ce rapprochement est une nécessité écologique et économique, mais aussi pédagogique : les gens doivent être mieux informés pour se tourner vers les aliments sains et de qualité.

Les aliments produits grâce à la chimie et aux pesticides ont un coût, pour la santé et pour l'environnement. La dépollution de l'eau coûte extrêmement cher et on peut éviter les externalités négatives si l'on accompagne la transition agroécologique et les paysans – qui, en fait, ne demandent que cela. Il suffit d'avoir une vision claire et de fixer un cap pour les politiques agricoles.

Des collectifs de paysans se réapproprient des outils de transformation, dont des abattoirs. Cette démarche doit être accompagnée localement car elle crée du lien. La loi Egalim fixe à la restauration collective des objectifs d'utilisation de produits issus de l'agriculture durable ou biologique. Nous devons utiliser ce levier pour installer davantage de paysans et de paysannes qui en cultivent. Cela suppose des collectifs de transformation locaux qui puissent répondre à cette demande. L'ensemble doit s'appuyer sur une politique scolaire d'éducation à la cuisine et au goût, car tout est lié : c'est gagnant-gagnant pour la production agricole, pour la souveraineté alimentaire et pour la santé et l'environnement.

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Parmi les nombreux thèmes que vous avez abordés, j'ai d'abord été sensible à votre rappel de la définition de la souveraineté alimentaire. Ce sujet a été évoqué régulièrement, notamment lors des premières auditions, et il faut effectivement rappeler ceux qui l'ont fait émerger comme sa signification originelle.

Que pensez-vous de l'itinéraire suivi par la notion de souveraineté alimentaire dans le débat public ? Elle vient en effet des mouvements altermondialistes, dont La Via Campesina. On n'en a ensuite plus beaucoup parlé jusqu'à ce qu'elle ressurgisse ces dernières années. Nombreux sont ceux qui, comme vous, mettent en garde sur le risque de lui faire dire des choses qu'elle ne signifie pas.

Comment expliquez-vous le succès soudain de cette notion ? Quel jugement portez-vous sur son utilisation par des milieux qui sont très éloignés de ceux qui l'on fait émerger ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

C'est une récupération sémantique et cela n'a rien d'étonnant. Lorsqu'il y a une prise de conscience et une inquiétude sociétales, on y apporte des réponses politiques. Mais on ne va pas se mentir : il y a un effet d'éco-blanchiment. Certains récupèrent la notion de souveraineté alimentaire, mais sans réfléchir aux moyens qu'elle suppose. C'est un exercice politique qui consiste à détourner le sens initial d'une idée pour faire perdurer un modèle économique que l'on n'a pas envie de réorienter. C'est ainsi, du moins, que nous voyons les choses. Il n'y a pour l'instant pas de volonté politique de réorienter l'agriculture pour répondre aux besoins de la population plutôt que de favoriser d'autres intérêts, notamment industriels.

Nous sommes attachés à notre définition de la souveraineté alimentaire car elle a des conséquences démocratiques. Elle implique la mise en place d'outils démocratiques pour que la population se réapproprie son alimentation. Les PAT sont un instrument intéressant à cet égard, mais il reste à les utiliser davantage et plus démocratiquement – ce qui est le cas dans certains endroits.

Les autres définitions de la souveraineté alimentaire conduisent souvent à un repli sur soi, et l'on voit bien quelle instrumentalisation peut en être faite. En tout cas nous combattons ce type d'instrumentalisation, non seulement parce qu'elle est délétère mais aussi parce qu'elle permet une forme d'éco-blanchiment. On fait croire que l'on a pris conscience de l'ampleur des problèmes mais on ne se dote pas d'outils et de moyens pour y répondre véritablement, faute de volonté politique.

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Vous avez parlé d'éco-blanchiment, ce qui m'amène à une autre question sur l'écologie – c'est une évidence lorsque l'on auditionne un représentant de la Confédération paysanne. On a le sentiment, depuis quelques semaines, que l'écologie devient un bouc émissaire du grand débat sur l'agriculture qui a émergé en France et partout en Europe. C'est ainsi, en tout cas, que je perçois les choses, et je suis loin d'être le seul – et c'est quelqu'un qui ne vient vraiment pas de l'écologie politique qui le dit ! On met sur le dos de l'écologie beaucoup de maux de l'agriculture. Qu'en pense la Confédération paysanne ?

Nous n'avons pas encore parlé du Pacte vert pour l'Europe, qui est très attaqué dans le débat public sur l'agriculture. Que pensez-vous de ce Pacte et quelles sont vos réactions face à ces attaques ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Les attaques dont font l'objet les normes environnementales sont avant tout une manœuvre de diversion pour éviter les vrais problèmes.

La colère qui s'est exprimée dans les campagnes trouve sa source dans les difficultés liées aux revenus, et elle pose la question de l'avenir. Nous avons travaillé pour recentrer le débat sur ces questions, car les problèmes ne résultent pas des normes environnementales mais bien des revenus insuffisants et d'accords de libre-échange dont il faut sortir. Il faut aussi donner un horizon aux paysans et aux paysannes.

L'autre raison de la dureté des attaques contre les normes environnementales est la volonté de faire perdurer un modèle d'agriculture intensive et productiviste, soutenu par une partie du monde agricole. Pour notre part, nous regrettons toutes les reculades sur les mesures environnementales, la biodiversité et la préservation de notre richesse écologique. Il ne faut pas opposer productivité agricole et écologie ; au contraire, la biodiversité est un réservoir et nous habitons avec toutes les formes du vivant. J'aime bien qualifier cela d'« écohabitat ».

En faisant disparaître la biodiversité, les haies et les prairies et en polluant l'eau, nous sommes en train de mettre en péril le pouvoir agronomique de la ressource. C'est un non-sens. Cela n'a d'intérêt que si l'on veut persévérer dans un modèle productiviste qui exploitera toutes les ressources jusqu'au bout.

Je ne peux que répéter que nous ne voulons pas aller dans cette direction. Il est bien connu que la Confédération paysanne tient ce discours depuis longtemps.

S'agissant du Pacte vert, il est évidemment nécessaire de conditionner les aides publiques à des engagements des paysans et des paysannes de protéger les ressources et l'environnement. Il faut aussi simplifier, en finir avec les aides surfaciques et accroître le soutien aux modèles agricoles les plus vertueux. Il ne s'agit pas simplement d'accompagner la transition mais aussi d'accompagner ceux qui l'ont engagée depuis longtemps, afin de garantir une agriculture pérenne.

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Comment jugez-vous la crise bien réelle que connaît le marché du bio depuis au moins deux ou trois ans, et dont certaines personnes qui se plaignent des excès de l'écologie tirent fréquemment argument pour affirmer que la transition agroécologique est impossible ou qu'il faut en réduire les ambitions ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Cette crise conjoncturelle – car j'espère qu'elle n'est pas structurelle – n'enlève rien à la qualité du modèle de l'agriculture biologique et elle ne doit pas nous en détourner. On a voulu cantonner l'agriculture biologique à un marché de niche à côté du marché conventionnel, alors que ce devrait plutôt être un projet politique de transition vers la fin des pesticides et des intrants chimiques. Un marché contraint peut susciter des problèmes conjoncturels liés à l'offre et à la demande ou à la surproduction, c'est-à-dire à des effets de marché. Il faut prendre ce problème à bras-le-corps pour faire sortir le bio de cette logique de marché et en faire un projet politique global pour accompagner la nécessaire transition agroécologique, en nous donnant les outils pour le faire.

La loi Egalim proposait un tel outil en prévoyant que la restauration collective comporte 50 % de produits bio et durable. Il faut commencer par là, mettre en œuvre ses dispositions pour les rendre effectives et supprimer les faux labels. Tout un travail de sape a été orchestré pour décrédibiliser l'agriculture biologique – je pense en particulier au label HVE, « haute valeur environnementale », censé garantir les mêmes objectifs que l'agriculture biologique mais sans résultats effectifs. Il faut faire un peu de ménage pour assurer transparence et éducation. Ces labels suscitent de la défiance envers l'agriculture biologique, et ce n'est pas correct. Une première mesure pourrait donc consister à éliminer le label HVE de la conditionnalité de la loi Egalim.

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Vous avez beaucoup parlé de foncier, et je note d'ailleurs que vous êtes l'une des rares personnes auditionnées par cette commission d'enquête à avoir spontanément évoqué cette question à propos de l'accaparement et de l'artificialisation des terres. Une importante mesure structurelle prise par la France sous la précédente législature a été la mise en place du « zéro artificialisation nette ». Cette mesure est-elle perçue comme protectrice du monde agricole ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

L'accaparement que j'évoquais est aussi celui que l'on observe au sein même du monde agricole avec l'agrandissement des fermes et la mise en compétition des paysans les uns avec les autres, qui produisent ces effets de « prédation » – j'emploie ce dernier mot entre guillemets car je ne veux pas stigmatiser mes voisins, mais certains modèles de production sont prédateurs des autres. Le premier accaparement est là et il faut le combattre par la gestion du foncier et avec des outils de régulation correctement gouvernés. C'est l'un des enjeux de la représentativité syndicale.

Les mesures visant au zéro artificialisation nette sont importantes car elles évitent, entre autres, l'expansion de l'immobilier. On constate néanmoins la construction d'infrastructures, notamment autoroutières, qui devraient être évaluées au regard des enjeux du maintien des terres agricoles. Il s'agit donc sans doute d'un bon outil, mais insuffisant pour freiner la disparition des terres agricoles sur le territoire ; or la disparition des terres agricoles est aussi celle de notre capacité à produire. Le premier enjeu est donc de maintenir les terres agricoles et le deuxième de répartir correctement le foncier pour que tous puissent s'installer.

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Vous avez rappelé la position historique d'hostilité au libre-échange bien connue pour être celle de la Confédération paysanne. Vous devez donc être opposés aussi à l'Accord économique et commercial global (CETA). Or les chiffres montrent que le commerce entre la France et le Canada dans le domaine de l'agroalimentaire augmente et continuera d'augmenter. D'un point de vue comptable, contrairement à ce qu'on entend dire, les agriculteurs français tirent bénéfice du CETA. Quelle est votre vision de cet accord ?

Par ailleurs, comme l'ont souvent dit les agriculteurs, la France est bénie des dieux, avec une géologie et un climat qui permettent à nos terres d'offrir une agriculture quasi complète, à l'exception de quelques productions dont nous ne pouvons pas disposer sur notre sol. Ce n'est malheureusement pas le cas de nombreux pays du monde, voire de certains continents. Ainsi, et pour nous limiter à cet exemple, les céréales françaises, qui font exploser tous les compteurs de production et d'exportation, sont destinées non seulement au marché national, mais aussi à ceux du Moyen-Orient, du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne, régions dont le climat ne permet pas de nourrir toute la population. L'objectif des exportations françaises en direction de ces pays est donc d'abord leur alimentation, mais aussi, très clairement, un objectif politique que la France n'a jamais passé sous silence. Nous pensons en effet que, pour la stabilité de ces pays, il faut éviter les émeutes de la faim et permettre à leur population de manger à sa faim, et qu'il vaut mieux que les céréales proviennent de pays démocratiques, comme la France ou les pays occidentaux, plutôt que de pays dont les régimes nous sont hostiles – pensons à la situation de l'Ukraine et de la Russie.

Il y a là un angle mort de votre raisonnement, car l'hostilité au libre-échange et au commerce international peut mettre en difficulté, d'un point de vue tant alimentaire que politique, des pays qu'il est de notre intérêt de nourrir en leur fournissant des produits qu'ils ne peuvent pas produire.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Nous ne sommes pas opposés au commerce international, mais à un commerce international inéquitable et à des accords de libre-échange qui déstabilisent à la fois l'agriculture du pays exportateur et celle du pays importateur. Vous dites que le CETA profite aux agriculteurs en France, mais profite-t-il à l'agriculture ou aux paysans et paysannes ? En d'autres termes, profite-t-il aux industriels de l'agriculture ou aux paysans ? Dans la filière aviaire, que je connais, le pourcentage de production destiné à l'export, déjà assez faible, déstabilise l'ensemble de la production, y compris celle qui est destinée à la consommation nationale.

Dois-je dire à mon voisin qu'il va produire pour exporter et que cela fixera l'ensemble du prix de ses produits au-dessous de son coût de production ? En effet, sur le marché international – face, par exemple, à la Nouvelle-Zélande –, nous n'avons pas tous la même capacité de production, le même pouvoir agronomique. Cette mise en concurrence est délétère et ne profite certainement pas aux paysans qui vendent leurs produits à un prix inférieur à leur coût de production, mais à l'industrie agroalimentaire car, si nous exportons certaines productions de qualité, nous exportons aussi des productions industrielles.

Vous mettez en avant la capacité de la France à nourrir le monde, mais ces exportations déstabilisent aussi les marchés locaux et la production locale, partant la capacité nourricière des populations locales et leur souveraineté alimentaire. Nous considérons qu'il peut y avoir du commerce international à condition que celui-ci respecte la possibilité pour chaque pays d'instaurer sa souveraineté alimentaire.

En outre, l'exportation d'un produit – en l'occurrence les céréales – ne doit pas justifier l'exportation de toutes les productions agricoles. Nous devons nous fixer des priorités, car il ne faut pas sacrifier la diversité de nos productions agricoles pour épouser ce modèle de marchandisation mondiale. En tout cas, cela ne marche pas. C'est un constat factuel : le nombre de paysans diminue et nous sommes confrontés à des difficultés en termes tant de maintien et de renouvellement des générations que de souveraineté alimentaire. Ces échanges internationaux et la marchandisation de l'agriculture mondiale ne nous ont pas plus permis d'éviter la déstabilisation de l'agriculture et de maintenir notre capacité de souveraineté alimentaire qu'ils n'ont mis fin à la faim dans le monde.

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Les précisions que vous avez apportées à votre définition de la souveraineté alimentaire rejoignent notamment, me semble-t-il, les positions de la Coordination rurale, qui adhère plus ou moins au même modèle fondé sur la capacité de chaque pays à produire et l'acceptation du commerce international, pour autant qu'il réponde à une exigence de juste échange et non pas de compétition.

Vous avez dit que la récupération de la souveraineté alimentaire que l'on constate depuis le déclenchement du conflit en Ukraine était selon vous du greenwashing. On a pourtant entendu le Président de la République prononcer des mots assez forts, déclarant notamment que déléguer notre alimentation à d'autres était une folie, et la souveraineté alimentaire figure non seulement dans l'intitulé du ministère de l'agriculture, mais aussi dans le premier article de la loi d'orientation agricole, qui en donne une définition. Considérez-vous que nous ne sommes pas à la hauteur de la définition que vous donnez de la souveraineté alimentaire ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Ce que vous décrivez est la définition même du greenwashing : les actions ne correspondent pas aux mots, et rien ne bouge. On peint les choses en vert, mais ni le projet ni les actions politiques n'évoluent. La loi d'orientation agricole, qui a été annoncée hier et dont nous avons vu les articles, ne contient rien de fondamental sur le revenu des paysans, qui était pourtant la revendication qui s'exprimait dans la colère agricole, ni sur la gestion du foncier. On peut toujours affirmer des objectifs de souveraineté alimentaire, mais la question est de savoir ce qu'on met en œuvre et ce qui nous fera réorienter correctement les politiques agricoles.

À la différence de celle de la Coordination rurale, notre démarche englobe aussi dans cette définition l'approche écologique et agro-environnementale. Il ne s'agit pas seulement de produire en France pour produire en France – tout en important, d'ailleurs, et en étant dépendant de pays tiers, notamment pour les engrais de synthèse, le soja et d'autres produits –, il faut produire en France en maintenant notre pouvoir agronomique et nos capacités environnementales, qui touchent à la fois à la biodiversité et au climat. Nous avons une approche globale, sans opposer écologie et productivité. L'enjeu est, en fait, de comprendre que notre agriculture est la réponse aux problèmes climatiques et environnementaux, et qu'elle permettra aussi de satisfaire à la souveraineté alimentaire. Parler de souveraineté alimentaire n'aura du sens qu'à partir du moment où nous prendrons les moyens nécessaires.

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Comment jugez-vous le fonctionnement actuel de l'Union européenne et du marché unique ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Je le répète, nous ne sommes pas opposés au commerce ni aux échanges entre pays, mais ils doivent être équitables. Il existe entre pays européens des différences de salaires, qu'il convient d'harmoniser. Il faut aussi protéger notre production agricole et, dans la mesure du possible, faire progresser la capacité des pays à rémunérer correctement leurs paysans et leurs salariés et à assurer leur protection sociale.

Nous avions proposé d'instaurer un prix minimum d'entrée, qui visait à ce qu'aucun produit entrant en France ne soit payé au-dessous du coût de production français. Cette mesure protégerait à la fois les producteurs français et les producteurs étrangers, en particulier ceux des pays européens, à charge pour eux de répartir correctement la valeur ajoutée de ces échanges commerciaux.

Nous devons mener en Europe un travail d'harmonisation entre nous et veiller à ce que chaque pays conserve une capacité d'autosatisfaction de sa consommation alimentaire. Cela ne me semble pas antinomique avec des rapports cordiaux entre pays, ni poser de problème dans nos échanges avec les pays voisins.

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Nous convenons tous qu'une transition environnementale est nécessaire. Quelles solutions voyez-vous pour assurer cette transition ? Est-ce par le progrès technique, notamment dans les domaines de la génétique, de la robotique ou d'autres techniques nouvelles ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

La technologie est au service des paysans. Elle permet aussi aux agriculteurs de s'émanciper du carcan industriel dans lequel ils sont parfois tenus, coincés qu'ils sont entre l'amont et l'aval, très dépendants à la fois de l'un et de l'autre. Si cette émancipation permet aussi de libérer du temps pour être plus en phase avec le rythme de travail sociétal, nous ne sommes pas opposés par principe à la technologie.

Le problème est que la technologie, qu'il s'agisse de la robotique ou de la génétique, est souvent, et depuis très longtemps, au service d'une industrialisation forcenée. Le bénéfice de la mécanisation et de la robotisation se manifeste dans la productivité, et la valeur ajoutée de l'augmentation de la productivité dans les fermes est bien souvent captée par l'industrie. Cette aliénation par la robotisation et, plus généralement, par la technologie à un système particulièrement industriel, qui diminue la capacité de maintenir un revenu dans les fermes, est ce que nous critiquons. La technique est un outil, au même titre qu'un marteau peut servir à construire comme à taper sur son voisin. La technique n'est intéressante qu'à partir du moment où elle sert un objectif politique.

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Êtes-vous d'accord avec les nouvelles techniques génomiques ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Non. Nous sommes profondément opposés aux organismes génétiquement modifiés (OGM), qui nous ôtent une capacité d'autonomie, d'émancipation, de maîtrise et de contrôle. La souveraineté alimentaire doit aussi être déclinée à l'échelle de la ferme, comme une capacité à y satisfaire ses propres besoins, à être maître de ses semences et de la production de ses animaux – et c'est même par là qu'il faut commencer. Les systèmes de brevetage, avec les OGM ou les NGT (new genomic techniques), ôtent aux paysans la capacité d'être souverains sur leur ferme, maîtres de leurs décisions et de leur choix. C'est un hold-up sur leur travail.

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On pourrait vous répondre que cette propriété intellectuelle servirait à financer la recherche, laquelle permettrait de trouver de nouvelles semences contribuant à réduire la consommation d'eau et apportant des alternatives à certains produits phytosanitaires, ce qui serait plutôt une avancée.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Si la recherche est financée par des opérateurs privés qui bénéficient de la rente des OGM ou des progrès technologiques, elle souffre déjà d'un biais qui pose question. Il existe des organismes publics compétents en matière de recherche agronomique, comme l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Compte tenu des enjeux, c'est à l'État et aux organismes publics que revient ce travail de recherche agronomique, et non pas aux entreprises privées, sans quoi la recherche serait nécessairement orientée vers leur bénéfice.

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Vous êtes assez critique du modèle de production français, que vous avez évoqué tout à l'heure en disant que le bio était un objectif à atteindre pour toute l'agriculture. Pourriez-vous préciser ?

Par ailleurs, on connaît le mot selon lequel, quand on se regarde, on se désole, mais quand on se compare, on se console. De fait, on trouve au sein de l'Union européenne et ailleurs, comme en Ukraine, des situations pires que celle de la France. Un reportage montrait récemment une usine d'élevage laitier en Argentine qui comptait 18 000 vaches élevées dans des conditions incroyables, alors que, dans les fermes françaises, la moyenne des troupeaux est de soixante-dix vaches. Nous pouvons légitimement nous dire que, si des efforts sont toujours nécessaires, beaucoup ont déjà été faits, et que notre modèle agricole n'est finalement pas si catastrophique.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

On peut toujours voir la politique du moins-disant... Souvent, nous n'adoptons pas le bon critère pour juger de l'industrialisation de l'agriculture, qui ne se définit pas forcément par la taille des fermes, mais plutôt par la vitesse à laquelle cette taille change. Je ne suis pas très vieux, et je me souviens que, dans mon département, les fermes laitières s'étendaient sur 40 hectares et produisaient 200 000 litres de lait, alors que la moyenne est aujourd'hui de 800 000 à 1 million de litres de lait, avec soixante-dix ou quatre-vingts vaches et 100 hectares. L'intensification s'est accélérée et la vitesse à laquelle on agrandit les fermes est précisément le critère qui m'intéresse. En Nouvelle-Zélande ou aux États-Unis, les fermes sont très grandes, ce qui est corrélé à l'histoire et la géographie de ces pays – et, de toute façon, nous n'aurons pas de feedlots en France car la topographie ne s'y prête pas. Reste que l'intensification progresse à une vitesse dramatique et qu'il faut la freiner, car c'est l'un des déterminants de l'industrialisation de l'agriculture.

Un autre déterminant est la financiarisation : d'où viennent les capitaux qui financent notre agriculture ? Le modèle, qui était familial et entrepreneurial, bascule vers un modèle sociétaire et capitaliste où ce ne seront plus les agriculteurs qui seront maîtres des outils de production agricole. Des études sur ce sujet montrent clairement que le mouvement s'accélère gravement. On peut donc toujours dire que la taille des fermes est réduite, mais elle s'agrandit et l'effet d'industrialisation est indéniable.

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Nous avons encore de la marge.

L'emploi des substances phytosanitaires cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) a baissé de 96 % depuis 2016 et, pour les CMR en général, de moitié depuis quatre ans. Reconnaissez-vous un progrès dans ce domaine, et le principe d'un produit phytosanitaire de synthèse qui ne soit pas CMR ou reconnu comme ayant un impact sur l'environnement vous pose-t-il un problème ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

En réalité, l'utilisation des produits phytosanitaires n'a pas beaucoup baissé et la France, qui a affiché des ambitions de sortie des pesticides, est loin de ces objectifs et reste championne de la consommation de pesticides. Les premiers à en pâtir sont les paysans – nombre de mes collègues ou voisins sont touchés par des cancers. C'est là un vrai problème de santé publique qu'il faut prendre en considération, au-delà de la pollution de l'eau.

Je ne représente pas la Fédération nationale d'agriculture biologique, mais le bio est un modèle qui a fait ses preuves et qui permet de sortir de l'engrenage des pesticides en utilisant des alternatives mécaniques ou agronomiques. En bio aussi, on utilise des produits phytosanitaires, mais il ne s'agit pas de produits synthèse et ils sont moins dangereux pour l'environnement et la santé. Nous ne sommes donc pas opposés à l'usage de tout produit, mais il faut en maîtriser l'impact sur la santé, sur l'environnement et sur notre capacité à installer demain nos jeunes. En Bretagne, je suis affolé de constater la qualité de l'eau et la dépense publique engagée pour la dépolluer. C'est toute la société qui est obligée de pallier ces déficits.

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Sur quels critères vous fondez-vous pour affirmer que la production phytosanitaire a augmenté ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Je n'ai pas dit qu'elle avait augmenté, mais que nous n'étions pas sortis des phytosanitaires et que la France était parmi les champions de leur utilisation. Je n'ai pas les chiffres en mémoire. Peut-être notre consommation a-t-elle décliné, mais nous ne sommes pas sortis massivement de l'usage des produits phytosanitaires. C'est d'ailleurs un problème, car nous avons dépensé de l'argent public avec des objectifs de sortie et de réduction de l'emploi de ces produits, mais sans résultat flagrant. Les phytosanitaires sont tout de même encore massivement utilisés en agriculture.

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Les conclusions d'une commission d'enquête qui a traité de l'emploi des produits écophyto abondent en votre sens : les ambitions n'ont pas été atteintes.

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Sur la forme, je tiens à dire que nous pouvons traiter cette question.

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Le rappel que j'ai fait me semblait nécessaire dans la mesure où notre collègue Dominique Potier s'est montré très insistant.

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Dominique Potier a fait une erreur d'interprétation de la règle : notre commission d'enquête a le droit de parler de produits phytosanitaires, mais il nous aurait été interdit de reprendre la même thématique que lui dans un délai d'un an.

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En l'occurrence, les conclusions du rapport de Dominique Potier vont dans le sens des propos de M. Galais.

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Ces conclusions sont contestées. Viticulteur conventionnel, je travaille avec mon père qui a vécu cette sortie des produits CMR. Si l'indicateur a fait débat pendant la mobilisation agricole, c'est parce que les produits ont désormais une rémanence plus courte et que les doses homologuées ont été réduites. Vous vous retrouvez avec un indicateur dégradé alors que vous n'utilisez plus de produits phytosanitaires classés CMR. La réduction de moitié des CMR et de 96 % de CMR1 constitue tout de même un progrès objectif. En matière de concentration des exploitations, vous nous invitiez à regarder l'évolution du phénomène plutôt que les surfaces moyennes des exploitations à un instant donné. Si vous gardiez la même approche pour les phytosanitaires, vous pourriez souligner que nous avons considérablement réduit l'usage des produits dangereux. Comme vous n'avez pas vraiment répondu à ma question, je vous la pose à nouveau : l'usage d'un produit de synthèse, non CMR et non dangereux pour l'environnement, vous pose-t-il un problème ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Le moins c'est le mieux. Si l'on peut s'en passer, pourquoi utiliser des produits de synthèse ? Il est d'ailleurs difficile de mesurer les effets des produits sur l'environnement et la santé, d'autant que les lobbies ont montré leur capacité à les camoufler. J'entends ce que vous dites. Pour être tout à fait honnête, je dois vous indiquer que, n'étant pas le spécialiste des produits phytosanitaires à la Confédération paysanne, je n'ai pas en tête toutes les données dans ce domaine.

Si nous prônons la sortie des pesticides et des produits phytosanitaires, c'est aussi pour des raisons liées à la souveraineté alimentaire, à la capacité d'autonomie et de résilience des fermes : l'usage de ces produits crée une dépendance envers l'industrie. Ma réponse n'est pas tranchée, mais je répète que l'agroécologie a fait ses preuves en utilisant des produits naturels – pour lutter contre la flavescence dorée, on peut même utiliser l'eau chaude. Certains produits naturels issus des plantes ne sont pas vraiment autorisés, alors que ce sont de potentiels substituts, et la recherche dans ce domaine pourrait être plus active.

Si je n'ai pas, sur les produits de synthèse, une position dogmatique qui me conduirait à réclamer leur bannissement complet, je pense néanmoins qu'ils ont prouvé leur nocivité. D'un point de vue sociétal, il n'est donc pas aberrant d'espérer la fin de leur usage pour éviter de polluer l'eau et l'air, pour améliorer les relations de voisinage et notre capacité à vivre ensemble, pour protéger notre santé. À mon avis, vous faires comme tout le monde : vous fermez la fenêtre quand votre voisin épand des pesticides. S'ils étaient anodins, nous n'aurions pas ce genre de comportement. Le fait est qu'ils ont des effets nocifs sur la santé et l'environnement.

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Il existe un produit naturel pour lutter contre la flavescence dorée, mais il ne cible pas seulement cette maladie de la vigne. Alors qu'il est considéré comme biologique, il a des effets catastrophiques sur la biodiversité que n'ont pas les produits conventionnels.

La souveraineté alimentaire suppose un certain niveau de production pour satisfaire les besoins d'une population qui ne cesse d'augmenter au niveau mondial, comme le montrent les données de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Cela vaut pour la France où les betteraviers, que nous avons auditionnés ce matin, n'étaient pas forcément sur la même longueur d'onde que vous en matière d'agroécologie : ils défendent la réintroduction des néonicotinoïdes parce qu'ils n'ont pas d'alternatives pour le moment. L'agroécologie paraît parfois un peu utopique.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Les pesticides et produits phytosanitaires peuvent avoir des effets négatifs sur la production : l'apiculture en offre un bon exemple. Et pour évaluer la productivité, il faut aussi tenir compte des externalités négatives. En matière de souveraineté alimentaire, nous sommes loin du compte dans diverses filières, notamment celle des fruits et légumes. Les pratiques conventionnelles ne nous empêchent pas d'avoir une balance commerciale négative dans de nombreux secteurs.

Pour ma part, je pense que nous pouvons produire en agroécologie, mais il faut avoir une approche globale, intégrant les externalités négatives, pour en évaluer la productivité. L'usage des produits de synthèse et des produits chimiques a un coût énorme en matière d'environnement et il pèse sur l'avenir agronomique de la France.

Il faudrait développer l'agroécologie à l'échelle du pays pour faire une réelle étude comparative. En tout cas, à l'échelle des fermes, les différences de productivité ne sont pas aussi nettes que certains voudraient le faire croire. L'exemple de la production laitière, que je vous ai donné, est assez flagrant : on peut avoir la même productivité sans importer du soja, mais à condition de tenir compte des surfaces utilisées hors de France dans le calcul. C'est un peu facile de prétendre que l'agroécologie n'est pas assez productive et qu'il est impossible de satisfaire la consommation sans utiliser les intrants et produits synthèse, sans tenir compte des équilibres et des coûts globaux, y compris sociaux et sociétaux.

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Vous défendez en quelque sorte la stratégie « de la ferme à la fourchette », qui implique notamment la réduction des intrants. Or les études d'impact indiquent que cette stratégie conduit à une baisse des rendements. Qu'en pensez-vous ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Je ne connais pas ces études, mais j'en ai lu d'autres qui prédisent de toute façon une baisse des rendements, parce que les sols ont été flingués et se sont appauvris. Nous ne sommes pas, loin de là, les champions du rendement. Une fois arrivé au bout d'un système, que fait-on ? Renforçons-nous les capacités de production de nos fermes ou restons-nous sur le même modèle, ce qui signifie une artificialisation accrue de nos systèmes, outils et pratiques pour atteindre les niveaux de production. Tendre à la souveraineté alimentaire suppose une relocalisation de la production et une réflexion sur la notion de productivité et le contenu de notre assiette. Garde-t-on un modèle qui n'est d'ailleurs pas étranger aux dérèglements du climat et à la sécheresse ou essaie-t-on de le réorienter pour tenter d'inverser la spirale infernale ?

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Venons-en à la diabolisation d'une pratique qui n'est pourtant pas nouvelle : le stockage de l'eau. Mon grand-père, qui avait fait une retenue collinaire, n'était pas à la tête d'un agrobusiness mais d'un élevage à taille humaine et d'une vingtaine d'hectares de terres. Pourquoi en est-on arrivé là, à un débat aussi passionné ? Après l'hiver que nous venons de passer, on se dit pourtant que ces excès d'eau pourraient être stockés en prévision d'arrosages nécessaires cet été. Pourquoi êtes-vous opposés aux projets de stockage d'eau ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Nous ne sommes pas contre l'irrigation ; nous sommes pour un partage de l'eau, pour une gestion de cette ressource qui tienne compte de son usage global et donne la priorité à la consommation humaine. Comme pour les terres, nous sommes contre un accaparement de la ressource par un modèle agricole plutôt corrélé à l'industrie, fondé sur une production intensive parfois destinée à l'exportation. Outre cet aspect d'accaparement par une poignée de personnes ou des firmes, nous nous interrogeons sur l'efficacité de ces réserves. Selon nous, le sol reste le meilleur endroit pour stocker l'eau. La priorité est donc de préserver la capacité des sols à la stocker, ce qui suppose un maintien des haies et des bocages, afin d'entretenir un cercle vertueux. Ces mégabassines répondent-elles à la problématique de la souveraineté alimentaire ?

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Il ne s'agit pas seulement de mégabassines. Vous étiez opposé au lac de Caussade, par exemple, lequel ne me semble pas être une mégabassine ou un ouvrage totalement démesuré.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Je n'ai pas cet exemple en tête. Notre ligne politique, je le répète, est de défendre un partage de l'eau. Pour tendre à la souveraineté alimentaire et obtenir une nourriture saine et de qualité, il faut que tous les paysans, maraîchers et éleveurs puissent avoir accès à l'eau. En raison du réchauffement climatique et de la sécheresse, il y a déjà des problèmes pour abreuver les animaux ou irriguer les cultures légumières. Des tensions peuvent naître dans la société parce que la ressource est insuffisante mais aussi parce qu'elle est de mauvaise qualité. En Bretagne, les algues vertes ne sont pas un mythe.

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Pourriez-vous revenir sur un thème que vous avez effleuré : la concurrence entre cultures destinées à l'alimentation ou à la production d'énergie ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Comme je n'ai cessé de le répéter, nous pensons que l'agriculture a une vocation nourricière. La mise en concurrence provoque une spéculation sur les outils de production, en particulier sur le foncier.

En Bretagne, je vois pousser des méthaniseurs qui nécessitent un apport de 30 tonnes de matière sèche par jour, ce qui suppose une surface de terres importante pour les alimenter. Le méthaniseur est comme une grosse vache qu'il faut nourrir en permanence parce qu'il ne s'arrête jamais. Les paysans et paysannes, qui se sont lancés dans cette voie, subissent une certaine pression. La méthanisation accélère le processus d'industrialisation de l'agriculture, conduisant à des pratiques délétères et déconnectés des enjeux sociétaux. En élevage laitier, les animaux sont de plus en plus concentrés pour satisfaire les besoins de méthanisation. Il faudrait des contrôles pour éviter les dérives.

Nous ne sommes pas contre l'installation d'outils de méthanisation à l'échelle de la ferme, dans le but d'accroître son autonomie énergétique. Comme pour l'irrigation, nous nous posons deux questions : de quelle installation s'agit-il ? Quel est son objectif ? Nous ne sommes pas opposés aux méthaniseurs ou aux microméthaniseurs qui servent à alimenter la ferme en énergie. En revanche, si la méthanisation fait passer au deuxième plan l'aspect nourricier de la production agricole, nous dénonçons une dérive dangereuse. Cette mise en concurrence est en totale contradiction avec l'objectif de souveraineté alimentaire.

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Votre raisonnement vaut-il pour l'agrivoltaïsme ? Quant à la pratique de la méthanisation, elle est tout de même encadrée : le méthaniseur ne peut pas être alimenté par une production principale mais seulement par des sous-produits de l'élevage ou des cultures intermédiaires. Même dans ces conditions, vous y voyez un danger ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

La pratique est peut-être encadrée par la loi, mais elle donne lieu à de nombreuses dérives. Je vois beaucoup de maïs passer au méthaniseur. En repoussant les dates de plantation et en utilisant diverses astuces, le maïs devient une culture intermédiaire. Il n'empêche que, pour moi, ça reste une culture principale. Si on met du maïs dans un méthaniseur, les deux types de production entrent en concurrence directe. Un méthaniseur moyen coûte 3 millions d'euros et absorbe 30 tonnes de matière sèche par jour. À qui va-t-on faire croire qu'il n'est alimenté que par des effluents d'élevage ? C'est impossible ! Quand il y a des tensions dans l'apport de matière, il faut trouver une solution parce que la machine est en route. Alors on contourne la loi. Ceux qui le font sont des fraudeurs, nous dit-on. Ces fraudeurs sont aussi des gens qui subissent le système dans lequel ils se sont engagés, et qui sont obligés de nourrir une machine gourmande.

De manière similaire, le photovoltaïque génère un revenu non issu de la production agricole, ce qui induit une mise en concurrence des productions et une spéculation foncière. Cette production d'énergie peut même avoir des effets sur la transmission des fermes : un agriculteur retraité peut décider de garder ses terres pour y implanter des panneaux photovoltaïques. Encore une fois, cette mise en concurrence nuit à la souveraineté alimentaire.

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Quelle distinction faites-vous entre la souveraineté alimentaire, l'autosubsistance et l'autosuffisance ?

Dans votre propos liminaire, vous avez lié l'artificialisation des terres agricoles à une perte de souveraineté alimentaire – je ne peux qu'approuver. Que pensez-vous de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite climat et résilience, qui a inscrit un objectif de réduction de moitié de l'artificialisation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) au cours des dix prochaines années ? Cette mesure répond-elle au moins en partie à vos inquiétudes concernant le maintien du foncier agricole, des espaces naturels et de la biodiversité ?

Ma troisième question porte sur la transmission des exploitations. En Ille-et-Vilaine, ma terre d'élection, on assiste, d'une part, à une décapitalisation du cheptel et, de l'autre, à une tendance à l'augmentation de la surface des exploitations agricoles. Quelles seraient vos propositions pour la transmission du foncier, sachant qu'un avantage fiscal profiterait à tout le monde ? Pensez-vous qu'il faut faire évoluer les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), qui sont critiquées mais qui jouent tout de même un rôle de régulation ?

S'agissant du photovoltaïque, j'apporterai une nuance : la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables encadre strictement les installations sur les terres agricoles. Ne laissons pas croire que tout est possible. Les agriculteurs sont plutôt partants pour une production destinée à l'autoconsommation, n'envisageant la vente que pour se délester d'un éventuel surplus. Quant aux méthaniseurs, ils donnent lieu à des excès mais aussi à de bonnes pratiques, notamment lorsqu'ils participent au recyclage des déchets alimentaires. Les collectivités, qui accusent un certain retard dans la collecte des biodéchets, pourraient aussi alimenter des méthaniseurs et produire une énergie dite renouvelable, même si elle ne peut être qu'une énergie de transition.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

L'autosuffisance ou l'autosubsistance traduisent un certain repli sur soi – on produit et on consomme tout sur place –, alors que la souveraineté alimentaire n'exclut pas les échanges, la coopération, le partage, la relation, le lien. La souveraineté alimentaire s'appuie d'abord sur des outils démocratiques. L'idée est de permettre aux populations de choisir leur alimentation dans le cadre d'un débat démocratique et non pas de se replier à l'intérieur de frontières hermétiques.

Tous les outils permettant de lutter contre l'artificialisation sont bons à prendre, y compris ceux qui sont prévus dans la loi « climat et résilience ». Il faut se fixer des objectifs ambitieux, cesser toute artificialisation, faire en sorte qu'aucune terre agricole ne disparaisse, dès à présent. Que vous dire d'autre ? Nous n'avons pas le choix.

Les SAFER sont un outil de gestion important, mais il faut qu'elles fonctionnent et qu'elles fassent correctement leur travail de répartition des terres. Quant aux schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA), ils nous incitent à poser la question de la représentativité des organisations agricoles, telles que les chambres d'agriculture. Nous devons déterminer collectivement des SDREA qui tendent à la souveraineté alimentaire. La répartition du foncier commence dès ce stade. Quelles sont nos priorités quand des terres se libèrent ? Privilégions-nous l'installation de nouveaux paysans ? Pour nous, il faut commencer par là et par un changement de la gouvernance agricole.

Mes propos sur la méthanisation reflètent la réalité du terrain. En Ille-et-Vilaine, il y a beaucoup de méthaniseurs à 3 millions d'euros. Il suffit de se balader pour les voir, flanqués d'un tas de maïs. Ce ne sont pas des déchets qui les alimentent.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Oui, mais il y a un apport massif de matières agricoles.

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Il peut y avoir aussi des déchets d'abattoirs et des déchets alimentaires.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Dans ce cas, développons des méthaniseurs publics avec les intercommunalités pour produire de l'énergie « propre ». Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ce que je vois sur le terrain ni ce qui remonte de notre réseau à travers les témoignages de nos paysans et paysannes.

Les mêmes inquiétudes émergent à propos de gros projets d'installations photovoltaïques sur des terres agricoles. Le classement des terres incultes suscite d'ailleurs des débats. Qu'est-ce qu'une terre inculte ? Pour nous, les panneaux photovoltaïques doivent d'abord être installés sur les toitures et les parkings.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Certes, mais il reste de la marge car, évidemment, cela coûte plus cher. Alors on préfère développer de grands projets sur des surfaces agricoles, ce qui est délétère. L'évidente concurrence entre les productions provoque une spéculation foncière. Si la production d'énergie engendre un revenu important et pérenne, par le biais de contrats de longue durée, l'effet d'aubaine est assuré. On peut comprendre que certains se laissent tenter, d'autant qu'il peut être difficile de dégager un revenu correct à la campagne. Mais ce n'est pas la bonne orientation.

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Le président de la région Normandie, qui n'est ni de ma chapelle ni de la vôtre, a publié une tribune très critique sur l'agrivoltaïsme. Le sujet aurait pu entrer dans le champ de compétence de cette commission d'enquête, mais il nous faudrait deux ans pour traiter tous les thèmes qui nous intéressent.

J'en reviens à votre proposition d'instaurer un prix d'entrée minimum pour les produits importés. Cette mesure est-elle compatible avec le marché commun, le droit de la concurrence et toutes les règles en vigueur ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Cela pourrait effectivement poser un problème, mais nous espérons que nos dirigeants feront preuve de courage politique. À un moment, il faut se donner les moyens de protéger nos agriculteurs ! Du reste, des clauses de sauvegarde existent déjà, bien qu'elles ne soient pas activées. Peut-être pourrait-on commencer par là, avant de réfléchir, par la suite, à l'instauration de prix d'entrée minimum.

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Les clauses de sauvegarde concernent des situations assez particulières, notamment l'utilisation de certaines molécules dans les produits phytosanitaires. Il n'est pas possible d'y avoir recours en cas de soupçons de concurrence déloyale découlant, par exemple, du coût de la main-d'œuvre.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Face à des problèmes de mévente de miel, nous avons réclamé la mise en œuvre de toutes les clauses de sauvegarde possibles mais n'avons pas obtenu entière satisfaction. Quand elle le peut, la France doit utiliser tous les outils possibles et imaginables pour protéger ses producteurs et éviter la disparition de certaines activités. La situation des producteurs de miel français est dramatique : ils souffrent de la concurrence directe des miels produits à l'étranger et importés à des prix dérisoires. Imaginez que des négociants achètent du miel à 1 euro le kilo ! J'entends les réserves que vous pouvez émettre sur des aspects juridiques ou administratifs, mais faut-il tout sacrifier au fait que la mise en œuvre des clauses de sauvegarde est difficile et que l'on a du mal à se battre politiquement pour protéger notre agriculture et nos paysans ? Je ne suis pas avocat spécialiste en droit international : nous faisons de la politique, du syndicalisme, et nous demandons aux dirigeants d'avoir le courage politique de nous défendre. Nous comprenons que cela soit compliqué, mais encore faut-il que les responsables politiques aient l'intention d'agir. Or ce n'est pas ce que nous constatons…

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Le hasard du calendrier fait que nous avons auditionné ce matin les représentants de la filière de la betterave et du sucre. Je suis particulièrement attentif à la situation de cette filière car la dernière sucrerie d'Alsace, celle d'Erstein, se trouve dans ma circonscription. Je ne suis pas de ceux qui tapent sur l'écologie : je considère qu'il faut trouver un équilibre, qu'une transition est nécessaire et que la vraie question est celle du rythme à adopter. Tous les types d'agriculture me semblent légitimes et ont à apprendre les uns des autres. Cependant, si j'ai envie de faire des gâteaux et que j'ai besoin de sucre, je ne trouverai dans un magasin bio que du sucre de canne produit en Amérique du Sud, plus précisément au Brésil. Or, dans le supermarché classique d'à côté, je pourrai acheter du sucre conventionnel, blanc, fabriqué à Erstein et issu de betteraves locales, alsaciennes ou marnaises. Lequel de ces deux produits est le plus vertueux pour l'environnement ? Le sucre de canne estampillé biologique qui vient du bout du monde, ou le sucre blanc traditionnel d'Erstein ? Ce n'est pas du tout une question piège : c'est une question existentielle que je ne cesse de me poser et que j'ai envie de poser à ceux qui défendent un projet écologique en agriculture. Aidez-moi à réfléchir !

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Ce n'est peut-être pas une question piège, mais cela y ressemble ! Je ne sais pas quoi vous répondre. L'idéal serait que le sucre soit local et bio.

Il est préférable de produire local, à condition de ne pas déstructurer d'autres filières. S'il faut, pour cultiver la betterave, utiliser des produits de synthèse qui vont détruire d'autres filières, polluer l'environnement et nuire aux abeilles, je préfère acheter du sucre qui vient d'ailleurs, d'un endroit où la production est saine et où nous n'avons pas exporté nos problèmes. Le produit le plus vertueux est peut-être celui qui affecte le moins l'environnement. C'est un avis très personnel, en demi-teinte. Nous nous heurtons souvent à des contradictions : les choses ne sont ni toutes blanches, ni toutes noires.

Si l'on définissait une orientation générale, qui encourage une transition agroécologique globale avec une relocalisation des productions, les problèmes spécifiques à telle ou telle filière seraient peut-être plus faciles à gérer. Commençons donc par avoir le courage d'une réorientation globale : je ne doute pas que nous trouverons alors, collectivement, des solutions techniques, économiques et sociales à ce genre de problèmes spécifiques à certains produits. Pour l'instant, nous n'avons malheureusement pas cette volonté – en tout cas, ce n'est pas le chemin que prend le projet de loi d'orientation agricole.

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Nous avons bien compris le sens de vos propos, qui sont très clairs.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Je cherche à répondre à votre question, dont je comprends la difficulté intellectuelle. Je pense que nous pouvons, tous ensemble, affronter ces défis si nous définissons un chemin, une vision collective claire.

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Cela fait partie des questions que je poserai aux acteurs de la distribution bio lorsque nous les auditionnerons. Même au sein de la filière bio, il y a parfois des contradictions. J'ai pris l'exemple du sucre mais j'aurais également pu parler des carottes : celles que l'on trouve dans les magasins bio, qui viennent d'Allemagne, sont-elles nécessairement plus vertueuses que celles produites en agriculture conventionnelle par le maraîcher de ma commune ou dans le village voisin ? Je pose la question d'un point de vue écologique global, qui tient compte à la fois de la biodiversité, de l'usage des produits phytosanitaires et du bilan carbone. On pourrait d'ailleurs ajouter un autre indicateur, celui des conditions sociales pour les producteurs. Certaines situations, qui peuvent sembler aberrantes, sont parfois utilisées par les vrais adversaires du bio – dont je ne suis pas – pour décrédibiliser ce type d'agriculture.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

En tant que membres d'un syndicat généraliste, notre rôle n'est pas de promouvoir l'agriculture biologique, bien que cette dernière puisse être une vraie solution pour sortir des pesticides.

Pour avoir été moi-même maraîcher, je peux vous dire qu'il est possible de produire des carottes dans le cadre d'une agroécologie locale et paysanne. Cependant, le bio n'empêche pas l'industrie, compte tenu de la marchandisation de la production agricole. Autrement dit, on peut reproduire dans le bio des systèmes économiques que l'on connaît en agriculture conventionnelle et qui se caractérisent par une logique de marché, libérale. C'est ainsi que l'on arrive à des aberrations comme celle d'acheter des carottes bio en Allemagne parce qu'elles sont moins chères que celles produites en France. On pourrait pourtant développer une filière bio locale, agroécologique, en France.

Il faudrait effectivement adopter une approche globale, avec une composante sociale. C'est ce que nous avons défendu au cœur de la crise agricole : lors des mobilisations, nous avons moins parlé de projet agroécologique et de normes environnementales que de la possibilité, pour les paysans, de vivre de leur métier. Nous avons d'abord adopté une approche sociale : pour développer une filière carottes, il faut avant tout que les paysans français puissent vivre de leur métier de producteurs de carottes ! Il convient de leur garantir un revenu avant de pouvoir développer des systèmes vertueux.

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Ma dernière question sera plus conceptuelle, mais il me paraît important de reparler d'Europe et de bien comprendre le positionnement de chaque syndicat à ce sujet. On observe deux tendances : il y a d'un côté les gens qui considèrent que les politiques agricoles doivent être définies dans un cadre européen, comme cela se passe depuis une soixantaine d'années avec la PAC, en dépit des imperfections de cette dernière, et de l'autre ceux qui rejettent ce cadre et pensent que les politiques agricoles doivent d'abord être définies au niveau national. Quelle est la position de la Confédération paysanne ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Il y a une marge de manœuvre au niveau national : la France élabore un plan stratégique national.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Nous souhaitons avant tout que cette politique soit équitable et qu'elle permette une juste répartition des aides. Puisqu'elle s'inscrit dans un cadre européen, faisons en sorte que sa déclinaison française permette d'asseoir notre souveraineté alimentaire et de rémunérer correctement nos paysans. Ne nous enfermons pas pour autant : nous devons aussi traiter correctement nos voisins, dans le cadre d'une certaine réciprocité. Qu'il y ait une réflexion européenne ne nous dérange pas, car nous ne sommes pas dogmatiques ; cela nous paraît même logique, puisque nous échangeons avec les pays voisins et que certaines harmonisations sont nécessaires. Cependant nous avons besoin d'un plan stratégique national cohérent, qui réponde aux problèmes rencontrés par les paysans français et permette de soutenir une orientation de l'agriculture française.

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Il sera plus facile de choisir entre un produit bio importé et un produit local issu de l'agriculture conventionnelle lorsque sera mis en place l'affichage environnemental prévu par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite climat et résilience. Nous l'attendons encore, mais il semble qu'il soit en passe d'être déployé après qu'auront été corrigés un certain nombre de biais liés à l'analyse du cycle de vie (ACV). Il permettra de favoriser les marchandises produites localement dans des conditions environnementales acceptables.

Je n'ai pas très bien compris votre vision de la souveraineté alimentaire, qui n'est peut-être pas la même que la mienne – s'il existe une définition plus ou moins universelle de cette notion, elle n'est peut-être pas partagée partout. Nous connaissons bien tous les deux la Bretagne, qui compte 3,4 millions d'habitants mais nourrit 20 millions de personnes. Après avoir assisté aux premières auditions de notre commission d'enquête, je me demande si les enjeux de souveraineté alimentaire ne sont pas davantage liés à la situation des différentes filières qu'à un problème global au niveau de la France.

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Votre question me permet d'énoncer un principe que j'aurais dû évoquer précédemment : la souveraineté alimentaire, c'est d'abord permettre l'accès à l'alimentation. Il s'agit d'un enjeu public majeur ; c'est pourquoi nous réfléchissons à un projet de sécurité sociale de l'alimentation.

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La souveraineté alimentaire a donc pour vous une dimension sociale dominante ?

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Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne

Oui. De même qu'il existe une sécurité sociale de la santé, nous défendons la création d'une sécurité sociale de l'alimentation. De là découle tout notre projet agricole, avec une relocalisation de la production.

Je ne crois pas à une souveraineté alimentaire par filière. Nous devons avoir une approche plus holistique, globale, de notre production agricole. Les filières sont parfois marquées par des rapports de force incompatibles avec nos objectifs, du fait du poids important des lobbys de l'agrobusiness.

Je le répète, je crois à une politique publique forte de l'alimentation, qui pourrait se traduire par la création d'une sécurité sociale de l'alimentation.

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Je vous remercie, monsieur le secrétaire national, pour la qualité de nos échanges et la clarté de vos réponses.

La commission procède à l'audition de M. Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV (Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes), M. Patrick Soury, président de la section ovine, M. Marc Pagès, directeur général, et Mme Louison Camus, responsable juridique et des affaires publiques.

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Nous poursuivons notre tour d'horizon des filières agricoles en accueillant M. Emmanuel Bernard, président de la section bovine de l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV), M. Patrick Soury, président de la section ovine, M. Marc Pagès, directeur général, et Mme Louison Camus, responsable du service juridique et des affaires publiques.

Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour répondre à nos questions. La situation des élevages bovin et ovin fait l'objet de nombreuses discussions depuis le début de nos travaux.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Emmanuel Bernard, M. Patrick Soury, M. Marc Pagès et Mme Louison Camus prêtent serment.)

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

L'association INTERBEV, qui existe depuis plus de quarante ans, est composée de cinq sections, parmi lesquelles la section bovine. Vingt-deux organisations professionnelles nationales y sont regroupées en quatre collèges, qui ne peuvent adopter des accords interprofessionnels qu'à l'unanimité. L'interprofession est « longue », car elle débute à la production et s'étend jusqu'à la distribution, en passant par l'abattage, la transformation et la mise des viandes sur le marché. Notre association a d'abord pour objectif de préciser les relations entre les différents intermédiaires, à travers des accords interprofessionnels qui ont force de loi. Elle gère également la communication, en interne comme en externe, notamment autour des produits. Différentes commissions travaillent sur plusieurs sujets, tels que les enjeux sociétaux ou le commerce extérieur, puisque nous échangeons beaucoup avec des partenaires européens, voire avec des pays tiers.

Dans le cadre d'un plan de filière défini il y a plusieurs années, nous avons cherché à répondre aux attentes du consommateur en matière de sécurité et de qualité des produits. Un engagement sociétal sur ce point a été certifié par une norme ISO de l'Association française de normalisation (AFNOR). Cette démarche ne concerne pas seulement la production : elle touche aussi à des enjeux sociétaux, environnementaux et de bien-être animal, qui supposent des échanges avec des associations de protection de l'environnement ou des animaux.

Depuis 2016, la France a perdu plus de 900 000 vaches, l'effectif total du cheptel ayant été ramené de 8 à 7 millions, lait et viande confondus. Pendant quelques années, l'abattage a contribué à créer de l'activité, mais celle-ci n'était qu'artificielle puisque nous perdions ainsi tant les vaches que les veaux auxquels elles auraient pu donner naissance. Entre 2016 et 2021, la décapitalisation s'est paradoxalement faite sans baisse de la production de viande, mais ce n'est désormais plus le cas. La consommation diminue, certes, mais beaucoup moins vite que la production, si bien que l'approvisionnement est de moins en moins facile pour la filière. Si l'on enrayait la décapitalisation, on observerait une rupture de charge en matière d'abattage, ce qui n'est pas le cas pour toutes les productions.

Nous avons des échanges à un niveau intra-européen car les habitudes des consommateurs varient selon les pays : les Français consomment plutôt de la viande de femelle alors qu'en Allemagne, en Italie ou en Grèce, on constate une préférence pour les animaux jeunes. Nous avons donc créé des marques, comme Charoluxe ou Bovillage, spécialement distribuées dans ces pays. À l'inverse, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Irlande nous retournent des pièces spécifiques, telles que la hampe ou la bavette, que nous ne trouvons souvent pas assez sur les carcasses. Ces échanges commerciaux ne nous posent pas de problème, à condition que les importations respectent les standards imposés à nos productions. S'agissant des exportations, nous nous adaptons aux souhaits de l'acheteur : en Europe, les demandes concernent certains types de produits, alors que les pays tiers, notamment asiatiques, ont souvent des exigences sanitaires qui nécessitent des agréments d'abattoir et des audits réguliers. Nous sommes à la recherche d'un équilibre commercial, qui tient compte de la nécessité de valoriser des produits peu consommés en France, comme les abats, mais qui pourraient l'être en Asie. Nous avons ainsi demandé un agrément pour les abats ou les animaux de moins de 30 mois.

La filière viande, ovins compris, représente quelque 500 000 emplois et des productions très diverses. Elle fonctionne selon un modèle d'élevage fondé sur la valorisation de millions d'hectares de prairies et caractérisé par une très grande autonomie : contrairement à ce qui est pratiqué ailleurs, les éleveurs produisent eux-mêmes la majeure partie de l'alimentation de leurs animaux.

La filière perd peu à peu sa souveraineté. Dans le cadre d'un plan de reconquête, nous devons donc trouver les ressources pour défendre notre modèle d'élevage et notre filière, caractérisée par le respect du principe de précaution et la garantie de la traçabilité. Il convient aussi de renouveler les générations et de contractualiser afin de donner des perspectives aux éleveurs en activité et aux nouvelles générations.

La France ne peut pas continuer de perdre ses élevages et ses vaches. Compte tenu de la baisse de consommation observée cette dernière décennie, de la pyramide des âges et des données de la Mutualité sociale agricole (MSA), le taux d'auto-approvisionnement en viande bovine en France pourrait tomber à 67 % en 2035. Nous essayons d'inverser cette tendance en favorisant le recours à la contractualisation, la visibilité et la traçabilité des produits. Il s'agit de préserver l'élevage, la filière et les emplois sur tout le territoire. Le plus important est que le consommateur puisse, dans n'importe quelles circonstances, avoir accès à l'origine de la viande, qu'elle soit brute, transformée ou utilisée comme ingrédient. Il nous faut absolument une transparence en la matière.

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

Pendant mes quarante ans d'activité, le cheptel ovin a diminué de moitié et le nombre d'éleveurs de deux tiers. Depuis l'ouverture du marché européen, et donc français, dans les années 1980, la grande majorité des élevages et des brebis françaises occupent des territoires situés au sud de la Loire, dans des zones défavorisées où cette activité constitue le dernier rempart contre la désertification. La rémunération des éleveurs ovins, parmi les plus faibles du secteur agricole, est insuffisante. Les revenus annuels varient, selon les systèmes, entre 18 000 et 25 000 euros.

La production française assure 46 % de la consommation d'agneau en France : il est donc nécessaire d'importer. Pour autant, on constate une grande différence entre le prix de la viande importée et nos propres coûts de production. Pour une rémunération de deux SMIC, si l'on ne tient compte que de nos coûts de production, la variation est de 4,90 euros à 11 euros pour les cotations entrée abattoir ; si l'on intègre les coûts de revient, en tenant compte des aides de la politique agricole commune (PAC), l'écart entre le prix de vente et le prix de marché reste compris entre 1,60 euro et 4,24 euros.

L'interprofession a réagi en cherchant à assurer le renouvellement des générations à l'aide de fonds interprofessionnels. En vingt ans, nous avons réussi à inverser la tendance, grâce notamment à des programmes de redynamisation – Inn'Ovin étant le plus récent –, lesquels ont permis de compenser la quasi-totalité des départs par une nouvelle installation. En dépit de cet effort collectif, l'augmentation des volumes importés qui pourrait résulter, notamment, de la mise en œuvre des accords de libre-échange adoptés ou en cours de négociation est susceptible de mettre à mal ce renouvellement des générations et la transmission des savoir-faire dans des territoires particulièrement difficiles.

Le prix des agneaux d'importation pèse sur notre marché. En France, la consommation atteint un volume de 151 000 tonnes. À l'échelle de l'Union européenne, 115 000 tonnes proviennent de Nouvelle-Zélande, un pays auquel nous venons d'accorder un contingent supplémentaire à taux zéro de 38 000 tonnes. Alors que la production néo-zélandaise était principalement tournée vers la Chine, cette dernière a récemment accru sa production de porc et donc de protéines, rendant son marché moins porteur. Aussi la Nouvelle-Zélande se réoriente-t-elle désormais vers le marché européen, en particulier vers le marché français. Ces derniers jours, vous avez pu voir des promotions pour des agneaux de Pâques provenant de Nouvelle-Zélande, vendus entre 7 et 9 euros le kilo, alors que le même agneau originaire de France coûte autour de 23 euros le kilo parce que les coûts de production sont supérieurs, les exploitations plus petites et les normes plus nombreuses. Certes, ces dernières rassurent les consommateurs, mais elles grèvent notre capacité à produire à moindre coût.

La France est la première importatrice de viande ovine originaire de pays tiers, notre premier fournisseur étant la Grande-Bretagne, suivie de l'Irlande. Nous avons besoin de cet approvisionnement. Les Français n'ont pas l'habitude de consommer de l'agneau en dehors de Pâques, et la population des consommateurs est d'ailleurs vieillissante – 77 % d'entre eux ont plus de 50 ans, tandis que les 35-49 ans ne représentent que 17 % des volumes achetés. L'interprofession cherche à encourager la consommation chez les plus jeunes, notamment dans le cadre du programme « Nos clients changent, changeons l'agneau ! », qui présente cette viande de manière plus appropriée à leurs modes de consommation. Il ne suffit pas de renouveler nos éleveurs : il faut aussi renouveler les consommateurs.

Pour dépasser certains freins en matière de souveraineté alimentaire, la contractualisation est un levier important : elle assure une sécurité en matière de revenus et offre une perspective aux éleveurs qui s'engagent, de plus en plus nombreux malgré tout. Quand ils consultent leurs financeurs, notamment les banques, ils ont besoin d'une garantie de revenus, et donc de prix. La contractualisation intègre des coûts de production certes élevés, mais qui répondent à des attentes sociétales – je pense au bien-être animal, à la préservation de l'environnement et de la biodiversité, ou encore au dynamisme économique des territoires ruraux. Elle permettra de rassurer le citoyen et le consommateur, mais encore faut-il que nous avancions dans sa mise en œuvre, souhaitée par la profession et les filières.

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Pourquoi y a-t-il eu cette décapitalisation du cheptel dans la filière bovine ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Les causes sont multiples, mais la première tient au revenu. La situation est d'ailleurs la même dans la filière ovine. La production de viande mobilise une importante quantité de capitaux et présente de nombreuses contraintes en termes de travail, dont la rémunération n'est pas assurée. Cela n'explique toutefois pas tout.

La variabilité des revenus n'est pas aussi importante dans la filière bovine que dans d'autres secteurs agricoles. Pour les grandes cultures, par exemple, l'hétérogénéité des revenus est énorme, alors que dans la filière bovine, il n'y a pas un système, une région ou une race qui réussit mieux que les autres.

Une deuxième raison peut être trouvée dans l'assouplissement du couplage historique entre le versement d'un portefeuille d'aides PAC et la présence de vaches sur le territoire. Alors qu'on y attachait beaucoup d'importance depuis les années 1970, le nombre déclaré de vaches n'affecte plus autant le potentiel d'une exploitation. Les éleveurs, en tant que chefs d'entreprise, sont très pragmatiques : l'assouplissement s'est traduit par de la végétalisation et du retournement de prairie.

Une troisième raison tient à la pyramide des âges. Jusqu'en 2017, le nombre de vaches par éleveur n'a cessé d'augmenter, à hauteur de 0,7 à 0,8 vache par an. On a alors atteint une limite de productivité, qui est venue s'ajouter à un problème de rentabilité. Il n'y a pas autant d'économies d'échelle qu'on le pense : si l'on veut augmenter la taille d'un cheptel, il faut trouver du terrain et de la main-d'œuvre, ce qui représente des charges supplémentaires.

La faiblesse des revenus, la fin d'une certaine sécurité pour l'exploitation garantie par la présence de vaches et le manque de perspectives expliquent peut-être les choix qui ont été faits pour la filière. J'ajoute que la décapitalisation a entraîné l'augmentation du nombre d'animaux abattus et le maintien de l'approvisionnement de la filière : aussi les alertes lancées par les instituts et les éleveurs n'ont-elles pas eu l'impact nécessaire pour que l'ensemble des acteurs de la filière changent d'attitude.

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Depuis trois semaines, les rapports de FranceAgriMer, dont le rapporteur et moi tirons des conclusions différentes, sont devenus nos livres de chevet. Je m'étonne que les données qui y sont présentées ne montrent pas de « déprise » – un terme plus neutre que l'expression « perte de souveraineté » – pour la filière bovine. La production connaît certes une légère baisse – de 6 % entre la période 2009-2011 et la période 2019-2021 –, mais qui est à mettre en regard d'une baisse de la consommation de 7 %. Dans le même temps, on constate une diminution des importations, comme des exportations, de l'ordre de 20 %. Le taux d'auto-approvisionnement en viande bovine est donc quasi stable, et même en légère hausse puisqu'il est passé de 94 % à 95 % durant cette période. Ainsi, les tableaux de FranceAgriMer contredisent le discours selon lequel il y aurait une déprise voire une perte de souveraineté dans la filière bovine.

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Marc Pagès, directeur général d'INTERBEV

J'appelle votre attention sur le fait que le dernier rapport de FranceAgriMer porte sur la période 2019-2021, marquée par le covid. Depuis, le taux d'importation est remonté, passant de 21 % à 26 %. La production, quant à elle, a continué de baisser – de l'ordre de 3,2 % l'année dernière, et probablement de 2,5 % cette année –, tandis que la consommation a progressé de 1 % en 2022 et qu'elle s'est maintenue en 2023. Sur une période de vingt ans, la consommation est plutôt étale. Les importations compensent la baisse de la production. On constate un manque d'animaux dans les abattoirs, qui n'opèrent plus que quatre jours par semaine. Cela ne durera pas longtemps, car les charges fixes ne pourront plus être couvertes. La période 2020-2021 était particulière du fait de l'interruption des importations. Si on refaisait les calculs aujourd'hui en les prolongeant jusqu'en 2023 – et les courbes de FranceAgriMer le montreraient aussi –, on constaterait que la production a baissé, que la consommation est demeurée stable et que les importations ont augmenté. La filière est donc moins en mesure de fournir le marché.

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Il faut faire la distinction entre la production et le potentiel de production : il n'y avait pas autant de bovins, en France, en 2019 qu'en 2009. En 2021, un quart du poids de la viande de vache produite par les abattoirs français était issu de la décapitalisation. La production a été maintenue, mais en abattant des vaches qui auraient dû rester dans le circuit. La capacité de la filière à réagir a été freinée par des rapports comme celui de FranceAgriMer, et nos alertes n'ont pas été entendues ; la filière elle-même était, si je puis dire, tombée dans le panneau. Pour notre part, nous regardons dans le rétroviseur pour comprendre ce qui s'est passé dans le secteur de l'abattage.

Il convient également d'analyser les chiffres dans le détail. En mars 2023, par exemple, on a constaté une baisse de 11 % du nombre de naissances de veaux, mais les effets de cette évolution ne se sont fait sentir qu'à partir de janvier 2024, lorsque la viande d'animaux de cet âge a commencé à être vendue, notamment en Italie.

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Comment expliquer la baisse notable – de 7 % – de la consommation pendant la dernière décennie ? Par un changement de mode alimentaire ? Y a-t-il d'autres raisons ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

La viande bovine fait partie de celles qui ont plutôt résisté à la baisse de la consommation. Il faut également s'intéresser aux changements de comportement des consommateurs, comme le fait notre enquête « Où va le bœuf ? », régulièrement mise à jour depuis 2014. Ainsi, les Français consomment moins de produits bruts mais achètent davantage de produits hachés et transformés ; ils préfèrent désormais les rayons en libre-service aux boucheries et aux rayons traditionnels. Par ailleurs, on a constaté un boom dans la restauration commerciale. Il convient en outre d'adopter un point de vue plus global, la baisse de la consommation individuelle pouvant être compensée par une augmentation de la population.

La communication d'INTERBEV ne pousse pas à consommer davantage de viande. L'un des slogans de la filière française est : « Aimez la viande, mangez-en mieux. » Il faut se préoccuper de ce que l'on veut consommer, de l'origine de son alimentation, et soutenir un modèle flexitarien dans lequel la viande est un ingrédient. Nous n'avons pas mené bataille pour regagner les quantités de viande qui ne sont plus consommées par les Français. Nous privilégions la dimension qualitative et l'équilibre alimentaire. Il est toutefois certain que le potentiel de production baisse plus vite que la consommation.

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Comment la filière bovine perçoit-elle le CETA, l'Accord économique et commercial global avec le Canada ? Les importations potentielles de viande bovine canadienne, qui est d'ailleurs tenue de respecter les normes européennes, sont résiduelles. Pourquoi en avez-vous peur ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Nous avons là une divergence. Nous n'avons peur de personne tant que les règles sont identiques pour tout le monde. Ce qui nous fait monter dans les tours, c'est que des gens puissent expliquer, avec une certaine malhonnêteté, que les Canadiens produiraient de la viande dans des conditions garantissant la sécurité des consommateurs français. Ce n'est pas le cas. Concrètement, les Canadiens ne savent pas faire de viande sans utiliser d'hormones.

Au-delà de la question du CETA, il ne devrait pas être possible d'importer ne serait-ce qu'un kilo de viande originaire de pays qui n'assurent pas la traçabilité de l'alimentation des animaux et de l'utilisation d'activateurs de croissance ou d'antibiotiques. Nous montons au créneau concernant le CETA parce qu'il pourrait constituer un précédent. Quand on voit ce qui s'est passé pour le mouton, on a extrêmement peur.

Lorsque nous exportons de la viande, les pays importateurs viennent vérifier que nous respectons le cahier des charges qu'ils ont validé. En l'occurrence, ce ne sera pas le cas pour la viande canadienne. Qu'importe qu'elle soit bonne ou non, elle ne respectera pas les conditions de production européennes.

Il ne faut pas non plus sous-estimer le volume d'importations estimé aujourd'hui : parce qu'il s'agit d'un accord provisoire, aucun Canadien n'a encore pris le risque d'organiser une filière à destination de l'Europe. Je peux vous garantir que, dès l'accord ratifié, ils commenceront à se préoccuper de notre sort et s'orienteront vers la production d'aloyau. Il faut comprendre que 65 000 tonnes d'aloyau représentent plusieurs centaines de milliers de tonnes équivalent-carcasse. Les négociateurs ne prennent pas en compte ce danger.

Il faut donc prendre en compte deux éléments : d'une part, les conditions de production au Canada, qui ne respectent pas les règles européennes ; d'autre part, le risque énorme de déstabilisation du marché, parce que les Canadiens pourront valoriser chez nous des produits qu'ils vendent chez eux au prix du haché.

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Sur le site internet de la direction générale du Trésor, qui n'est pas la moins importante des administrations françaises, une page actualisée le 7 mars 2024 est consacrée à l'accord avec le Canada. On peut y lire : « L'ouverture de ces quotas s'est traduite par une augmentation de 57 % des exportations françaises de fromage entre 2016 et 2022. Côté européen, l'Union européenne a accordé de nouveaux contingents pour la viande : 45 840 tonnes, soit moins de 0,7 % de la production européenne, pour le bœuf (conforme aux normes européennes, notamment sans hormones) […]. » Dans une communication publiée il y a un mois, la direction générale du Trésor, dont on connaît la rigueur, contredit donc ce que vous affirmez. Soit il y a une très grosse erreur, soit l'administration ne dit pas la vérité, soit il s'agit d'une incompréhension…

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Marc Pagès, directeur général d'INTERBEV

Les gens savent très bien que les farines animales sont autorisées au Canada. Posez ouvertement la question aux producteurs canadiens ! Demandez-leur s'ils n'utilisent pas des antibiotiques comme activateurs de croissance ! Ces pratiques sont autorisées chez eux, alors que cela fait des années qu'elles sont interdites chez nous. Demandez-leur le résultat des audits effectués en 2019 et 2022 par la Commission européenne, lesquels ont prouvé que la traçabilité de la production n'était pas assurée par les Canadiens et que les 1 600 tonnes de viande qu'ils nous ont envoyées ne présentaient aucune garantie, y compris s'agissant des hormones. Nous sommes factuels, clairs et précis. Nous ne faisons pas de communication. Les critères ne sont pas respectés.

Soyons clairs : si l'on fait respecter au Canada les mêmes conditions de production qu'en Europe, alors il n'y aura pas de souci, car ce sont les règles du marché qui s'appliqueront. Mais ce n'est pas le cas. Lorsque nous exportons, nous respectons les règles du pays importateur, y compris en matière de découpe. Lorsque j'envoie des langues au Japon, je dois les faire découper d'une certaine manière, en plus de respecter d'autres critères. En outre, les acheteurs viennent nous auditer pour s'assurer que nos abattoirs effectuent bien leur travail et que la filière respecte toutes leurs conditions. Dans le cas du CETA, nous ne faisons que reconnaître le système du pays exportateur ; or les audits menés révèlent qu'il n'est pas conforme à nos règles. Certains pays ont réagi à cette situation, mais pas l'Union européenne.

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Les difficultés de la filière ovine ont été identifiées – il n'y a pas de débat à ce sujet. C'est, dans les tableaux de FranceAgriMer, l'une des très rares filières dont les taux d'auto-approvisionnement sont dans le jaune et non dans le vert. On constate toutefois une petite reprise : la tendance redevient légèrement haussière.

En une décennie, la consommation de viande ovine a chuté de 21 %. À quoi sont dus cette baisse substantielle et ce désintérêt des Français ?

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

Cette baisse est due à l'évolution des modes de consommation. La filière a sans doute été pénalisée par les habitudes des plus jeunes générations, d'autant que la viande ovine, notamment d'origine française, est un produit cher. Je le répète, cette viande apparaît aujourd'hui inadaptée à la composition des familles et aux nouveaux modes de consommation.

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Vous avez affirmé qu'en quarante ans, le cheptel avait été divisé par deux et que le nombre d'éleveurs avait baissé de deux tiers.

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

En effet. Le nombre moyen de brebis par élevage a augmenté.

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Or, selon les chiffres du rapport de FranceAgriMer, la production n'a baissé « que » de 4 % entre la période 2009-2011 et la période 2019-2021, ce qui signifie que la division par deux du cheptel s'est produite avant la dernière décennie. Quand la rupture a-t-elle eu lieu précisément ?

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

Dans les années 1990.

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

À cause de la Nouvelle-Zélande et des conséquences de l'affaire du Rainbow Warrior. La filière française a réagi en adoptant des signes officiels de qualité pour rassurer le consommateur français et gagner de la valeur ajoutée. Ainsi, 18 % des volumes français de production ovine respectent une démarche qualité – indication géographique protégée (IGP), Label rouge ou bio. Cela a servi de locomotive pour l'ensemble de la filière et permis d'atteindre un prix certes élevé, mais qui a sans doute sauvé les éleveurs ovins qui subsistent. Aujourd'hui, nous sommes dans une phase de transmission des savoir-faire : la filière se mobilise, notamment financièrement, en déployant des programmes de dynamisation destinés aux jeunes apprenants et aux porteurs de projets, ainsi qu'en modernisant la gestion de l'élevage – électronisation des troupeaux, bouclage électronique – pour gagner en efficacité. Nous essayons de courir plus vite, mais nous sommes ralentis car on nous met toujours plus de poids aux mollets.

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Je vous remercie pour votre remarque relative aux données de FranceAgriMer : celles de 2021 concernent effectivement une période un peu compliquée. Nous demanderons à l'établissement public de nous envoyer les derniers chiffres disponibles.

S'agissant du CETA, que pensez-vous des clauses miroirs ? Les jugez-vous crédibles eu égard aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Nous ne sommes pas ici pour bloquer le commerce, mais pour identifier les problèmes auxquels la filière se trouve confrontée. Notre première préoccupation est la protection du consommateur ; cela doit aussi être celle des clauses miroirs, et plus généralement des mesures miroirs. Nous avons du recul sur des pratiques désormais interdites telles que le recours aux farines animales ou l'utilisation d'hormones ou d'antibiotiques comme activateurs de croissance. L'idéal serait d'appliquer un standard de protection, mais il est évident que les règles de l'OMC ne facilitent pas les choses. Des règles sont édictées pour protéger le consommateur lorsqu'il achète certains biens de consommation comme des voitures ou des jouets : nous aimerions que ce soit aussi le cas pour la viande. Les clauses miroirs permettent, d'une certaine façon, de mettre le pied dans la porte, de défendre des principes et d'empêcher l'entrée sur notre marché de produits qui ne les respectent pas. Notre démarche est un peu utopiste, mais nous y allons petit à petit, en essayant d'être constructifs et sans vouloir bloquer le commerce.

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Le Canada a demandé à l'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) d'autoriser le traitement des carcasses à l'acide peracétique ou peroxyacétique, un procédé interdit dans l'Union européenne. Qu'en pensez-vous ?

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Marc Pagès, directeur général d'INTERBEV

Le Canada avait déjà demandé, en 2013, le droit de décontaminer les carcasses à l'acide lactique – une pratique que la Commission européenne interdisait à l'époque mais a décidé d'autoriser. Entretemps, le Canada a changé ses méthodes et utilise désormais de l'acide peroxyacétique. S'il demande à l'AESA de revoir ses critères, ce n'est pas pour ne rien envoyer sur le marché européen.

Les deux systèmes sont totalement différents. Les pays d'Amérique produisent comme ils peuvent, traitent les carcasses pour des raisons de sécurité sanitaire et envoient ensuite la viande aux consommateurs. En Europe, nous faisons en sorte que toute la filière travaille correctement et qu'il n'y ait pas besoin de traiter les carcasses, qui sont saines du point de vue sanitaire.

La demande canadienne ne vise qu'à déverrouiller les possibilités d'exportations. Si les Canadiens ne souhaitent pas nous vendre de produits, pourquoi sont-ils aussi offensifs dans leurs demandes d'autorisation des traitements sanitaires de leurs carcasses ?

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Vous affirmez que l'Union européenne a autorisé le traitement des carcasses à l'acide lactique pour les importations alors que cette pratique était interdite sur le sol européen ?

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Marc Pagès, directeur général d'INTERBEV

Non. L'Union européenne l'a autorisée globalement afin de favoriser les échanges.

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Les importations réalisées en dehors des traités de libre-échange, soumises aux seules règles de l'OMC, posent-elles des difficultés particulières ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Pour la filière bovine, les importations en France de produits originaires de pays tiers sont faibles. La grande distribution ne rêve pas de faire venir la viande de ces pays-là.

Cependant, l'Union européenne importe plusieurs centaines de milliers de tonnes de viande du Brésil sans qu'aucune mesure miroir ne soit respectée. La Commission européenne s'est bornée à demander au Brésil de certifier que les éleveurs n'utilisent pas d'hormones de croissance : aussi avons-nous pour seule garantie des attestations sur l'honneur émises par des vétérinaires brésiliens. Je respecte les vétérinaires du monde entier, mais seule l'Europe peut imaginer un tel système : nulle part ailleurs on ne se contenterait d'attestations sur l'honneur ! Nous ne parlons pas d'exploitations familiales d'une centaine de bêtes où le vétérinaire passe en fonction des besoins. Au Brésil, le vétérinaire est salarié du feedlot : ce sont donc des salariés qui produisent ces attestations.

L'Europe importe donc aujourd'hui des viandes qui ne respectent pas nos standards. C'est pourquoi nous sommes très préoccupés par les accords tels que celui passé avec le Marché commun du Sud (Mercosur), lesquels permettent, malgré des droits de douane élevés, l'importation de viandes beaucoup moins chères du fait de leurs conditions de production. Si l'on ne vérifie pas ces dernières, on crée un précédent dont le consommateur sera la victime.

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

Dans la filière ovine, les importations proviennent essentiellement de Grande-Bretagne. Le Brexit explique la baisse de 38 % des importations dans les données du rapport FranceAgriMer, en raison d'une réadaptation des flux d'importation.

Aussi paradoxal que cela paraisse, nous avons besoin d'importer des agneaux pour soutenir la consommation d'agneau français. À défaut, il risquerait de disparaître complètement des rayons. Cela étant, les conditions de production britanniques ou irlandaises d'agneau sont presque identiques aux conditions françaises, ce qui explique que la différence de prix entre ces produits ne soit que de 1 à 1,50 euro, alors qu'elle atteint un rapport de 1 à 3 avec la Nouvelle-Zélande, l'Australie ou le Chili. En outre, l'agneau britannique à destination de la France est parfaitement adapté au marché français ; il n'y a pas de déchets. Ceux qui ne sont pas adaptés aux marchés français ou européen sont consommés en Grande-Bretagne. Ils parviennent ainsi à trouver un équilibre de production avec des prix inférieurs aux nôtres, mais ce ne sont pas eux qui nous posent problème.

La diversité des produits permet de segmenter le marché. Les agneaux produits selon une démarche qualité, qui sont la locomotive de la filière, sont suivis par les agneaux français classiques, souvent issus du bassin laitier, puis par les agneaux d'importation européenne, par exemple d'origine irlandaise. S'y ajoutaient les agneaux d'origine britannique avant le Brexit et ceux d'origine espagnole, avant que l'Espagne ne se détourne du marché français au profit du marché méditerranéen – par commodité et par souci de rentabilité, puisque le prix payé dans le bassin méditerranéen était supérieur à celui que nous pouvons payer en France. Ces agneaux espagnols, aujourd'hui disparus, approvisionnaient nos sites d'abattage et permettaient de couvrir les charges fixes. L'équilibre entre les productions ovine et bovine dans les abattoirs permet également d'atteindre un volume assurant une certaine rentabilité. Quand le site d'abattage termine l'année sans être déficitaire, il se dit : « ouf ! » Ce n'est pas là que la valeur ajoutée est captée dans nos filières animales.

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Être capable de produire une gamme entière de produits peut être une ambition française. Le discours de Rungis préconisait une stratégie de montée en gamme pour concurrencer les importations, mais on peut ne pas être d'accord et espérer que la France produise du cœur de gamme, voire de l'entrée de gamme. Il n'y a pas de tabou.

Comment se fait-il que la Grande-Bretagne arrive à être compétitive sur le marché français, malgré des coûts de production a priori comparables ?

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

Les dimensions des exploitations ovines sont complètement différentes, ce qui permet aux éleveurs de réaliser des économies sur les charges. En France, on a 300 à 400 brebis par exploitation, qu'elles soient allaitantes ou laitières ; en Grande-Bretagne, on compte 1 000 à 1 500 têtes. Les exploitations britanniques sont gérées selon un modèle capitalistique, alors que la gestion française est plus familiale et s'attache à préserver le modèle herbager. Chez nous, la taille des troupeaux est également limitée par les capacités humaines. Je le constate dans mon exploitation, qui compte une centaine de brebis : le week-end, je suis tout seul ; il n'y a pas de salarié pour aider en période de mise bas. Cette notion de stop-dose influe sur notre efficience et notre capacité à moderniser nos outils et nos élevages. Nous travaillons avec du vivant, non pas en lots, mais à l'individu, que ce soit en bovin ou en ovin.

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Les lois Egalim ont certes prévu une dérogation à la contractualisation, mais uniquement pour les petits producteurs. De façon générale, la filière continue donc à contractualiser. Les prix payés sont-ils cohérents avec vos indicateurs de coûts de production ?

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

Concernant la filière ovine, non. Comme je vous l'ai indiqué, l'écart se situe entre 1,5 et 4 euros, si l'on prend en compte le coût de revient, en intégrant toutes les aides de la PAC à la ferme ovine française. Sinon, l'écart est de 4 à 10 euros.

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

La question du revenu, que nous avons identifiée comme une des sources de la décapitalisation, est à l'origine des lois Egalim. Si on veut réorienter les choses, il faut rémunérer correctement, ce qui implique de se fonder sur les indicateurs de coûts de production pour déterminer le prix à payer. Toutefois, la loi interdit à INTERBEV, en sa qualité d'interprofession, de parler de prix, notamment pour éviter les ententes – quand bien même nous serions autorisés à en discuter, nous n'arriverions peut-être pas à nous accorder, le grand nombre de parties prenantes rendant la chose particulièrement complexe.

Nous avons néanmoins réussi à nous mettre d'accord sur un certain nombre de points importants, à commencer par des méthodes de calcul des coûts de production, ce qui n'est pas aussi simple à réaliser dans un modèle d'élevage comme le nôtre, qui comporte différentes catégories – mâles, femelles, jeunes, vieux. On observe une prise de conscience du fait qu'il faut accorder de l'attention à la rémunération.

Concernant la distribution, il y a moins de réticences qu'avant au fait d'intégrer les indicateurs de coûts de production dans les contrats, mais cela ne peut fonctionner que si tout le monde le fait. Or, quelqu'un préférera toujours contourner la loi et créer une centrale d'achat ailleurs en Europe plutôt qu'en France, avant que d'autres ne l'imitent. On note toutefois un changement de paradigme et de sensibilité : les gens constatent qu'il y a un peu le feu dans la maison et cherchent des solutions. Nous avons l'avantage de disposer des outils, que nous mettons à jour tous les six mois, quelles que soient les catégories – non seulement les vaches, veaux, génisses, laitières, mais aussi les veaux de boucherie et l'ensemble des catégories en bio. Nous avons aussi les méthodes de calcul, les contrats-cadres et autres outils de contractualisation, ainsi qu'un observatoire INTERBEV qui centralise les données concernant la contractualisation. On note d'ailleurs que le taux de contractualisation est le plus élevé dans le domaine où on pensait qu'il serait le plus faible, c'est-à-dire pour l'exportation de jeunes bovins lorsque l'acheteur final n'est pas connu. Malgré Egalim, il faut encore pousser pour créer les conditions de la rémunération correcte de tous les maillons, producteurs compris. La question est de savoir comment enclencher cela. Tout n'est pas à jeter, mais il est important de continuer.

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La loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim 1) a élargi aux productions alimentaires l'interdiction de cession à un prix abusivement bas prévue par le code de commerce, ce qui revient à interdire d'acheter certaines productions sous le seuil fixé par les indicateurs. Vous avez indiqué qu'on ne peut pas se contenter d'un seul indicateur, mais la question est de savoir lesquels il faut sélectionner. La loi en dresse la liste. Cela étant, l'interdiction, qui a été fixée par une ordonnance de 2019, n'est pas respectée. Un viticulteur bordelais a réussi à faire condamner à ce titre deux négociants en première instance. Comment expliquez-vous que cette disposition relativement récente ne soit pas appliquée, alors que les acteurs de la filière sont d'accord pour fixer des prix assurant une rémunération correcte des producteurs ? L'État a-t-il fait preuve de la pédagogie nécessaire pour informer la profession ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Les contrats prennent en considération les indicateurs, qui sont recalculés. Dans le cadre de l'interprofession, nous avons validé une méthode de calcul élaborée par l'Institut de l'élevage et mise à jour tous les six mois. Cela étant, au sein de la filière, certains recalculent des indicateurs, car il n'y a pas d'indicateurs imposés.

S'agissant de la construction de la contractualisation, rappelons que les éleveurs vendent des animaux entiers, mais qu'intervient ensuite un processus complexe de transformation. Parmi la quarantaine de muscles qui composent une carcasse, la plupart sont destinés au haché. L'équation permettant de déterminer exactement la rémunération pour une carcasse est connue des industriels mais n'est pas publique. Ce domaine se caractérise par une grande complexité, accrue par le fait qu'il est possible de recalculer les indicateurs.

Les contrats contiennent souvent une clause prévoyant qu'une personne extérieure garantisse la prise en compte du prix agricole. INTERBEV, en tant que telle, n'a accès à aucun contrat. Nous connaissons la quantité d'animaux contractualisés, qui doit être compatible avec les lois Egalim – sous peine de lourdes sanctions en cas de contrôle –, mais seuls les services de l'État peuvent accéder au contrat proprement dit.

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Je comprends que la création d'une quarantaine d'indicateurs pour les carcasses soit fastidieuse, mais le jeu en vaudrait la chandelle si cela permettait de résoudre le problème de la rémunération. Y a-t-il au moins un indicateur qui soit respecté dans les prix pratiqués ? La disposition relative aux prix abusivement bas est-elle connue des acteurs de la filière ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Le prix abusivement bas est connu. Tous les contrats prennent en compte l'indicateur qui a recours aux cotations. Il existe toujours un lien avec les cotations, quel que soit le pourcentage. Nous aurions du mal à l'évacuer. La méthode de calcul des coûts de production garantit un prix minimum, ce qui n'est pas interdit par la loi, laquelle autorise la fixation préalable du prix. Cela étant, il y a une culture selon laquelle, en dessous d'un certain prix, on n'accepte pas, à l'image du marché des céréales.

L'interprofession cherche d'abord à fournir des indicateurs et à leur donner de la visibilité, car nous n'intervenons pas dans les relations commerciales entre des éleveurs ou des groupes d'éleveurs, d'une part, et des abatteurs, d'autre part. Nous diffusons de l'information sur le prix abusivement bas, les conditions de calcul des coûts de production, les méthodes de fixation du prix.

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Sauf erreur de ma part, les cotations ne font pas partie des indicateurs prévus par la loi.

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Si, la loi prévoit la prise en compte des indicateurs de marché.

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Vous n'avez pas de visibilité sur les contrats, mais avez-vous connaissance de contrôles effectués par la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Au début, les contrôles avaient peu ou prou une visée pédagogique, alors qu'aujourd'hui ils peuvent déboucher sur la prise de sanctions. Ils se distinguent des contrôles classiques, car ils sont susceptibles de se traduire par le prononcé de pré-amendes. Ils se sont à présent développés mais ils ne constituent pas une fin en soi. Ils peuvent contribuer à ce que l'on donne les moyens à notre filière de mettre un terme à la baisse de la production et du potentiel de production. Nous ne sommes pas directement concernés par les contrôles, mais il y en a et il doit y en avoir.

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Je vous demanderai de bien vouloir me transmettre les éléments dont vous disposez sur les indicateurs de marché.

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Ma première question sera un peu provocatrice. J'entends dire depuis plusieurs années que la filière de la viande, en particulier de la viande bovine, ne serait pas suffisamment organisée, intégrée et offensive. Je reconnais l'importance du travail qui a été effectué mais, lorsque je vous entends parler des accords de libre-échange, j'ai un peu l'impression que vous êtes sur la défensive. J'ai eu des conversations avec de jeunes éleveurs ouverts à l'idée de conclure des accords avec les Argentins, puisque la France et l'Argentine font partie des pays qui font la meilleure viande du monde. C'est peut-être utopique, mais je regrette que l'on soit sur la défensive et que l'on s'inquiète à l'idée que quelques milliers de tonnes supplémentaires déstabilisent notre marché.

Considérez-vous que la filière est bien organisée et que pensez-vous du rôle des grands groupes – je pense en particulier à Bigard –, des coopératives et des regroupements de producteurs ? Que faudrait-il faire évoluer en la matière ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Ce matin, j'ai assisté à un webinaire au cours duquel nous avons réfléchi aux actions que nous pourrions développer dans le domaine des exportations. Je comprends la question et je vous répondrai d'abord que nous sommes favorables au commerce et aux échanges mais veillons aussi à la protection du consommateur.

Il est vrai qu'en valeur absolue, quelques milliers de tonnes sur les 7,5 millions de tonnes produites annuellement dans l'UE ne sont pas très impressionnantes. En revanche, si l'on additionne les milliers de tonnes et que l'on considère la nature du produit, il y a un déséquilibre. Lorsqu'on importe uniquement des gigots, que fait-on du reste ?

On peut vouloir être offensif à condition que tout le monde soit soumis aux mêmes règles. Nous ne sommes pas défavorables aux importations. On sait que certains pays européens sont tentés par des viandes exotiques : nous l'acceptons aussi longtemps que cela ne déséquilibre pas la filière.

Pour être offensif, il vaut mieux avoir de grosses entreprises. Je ne suis ni pour ni contre ces dernières. Nous agissons au quotidien avec les fédérations – Culture Viande et la Coopération agricole – et tout le monde travaille avec nous. Des structures coopératives sont multi-produits. On peut citer aussi une entreprise qui travaille à 99 % avec des producteurs français.

Ce qui est certain, c'est que l'inorganisation nous empêcherait de nous adapter au consommateur français. Le haché a permis de basculer d'un mode de consommation à un autre et cela a nécessité des industriels, des gens conquérants et de la communication. Nous accompagnons, sur le plan de la communication, les innovations concernant les produits. On pourrait considérer qu'il y a trop d'abattoirs en France, quand bien même les politiques défendent, sur le terrain, leur abattoir local. C'est un secteur pressurisé : quatre ou cinq groupes regroupent 80 % de l'abattage. On a perdu 25 % des producteurs. On a essayé de limiter la taille des élevages à l'aide de seuils et de normes. Il faut savoir si l'on souhaite développer l'intégration et l'organisation – et, le cas échéant, jusqu'où – ou si l'on reste sur les modèles actuels. Nous avons des structures bien organisées capables de gérer l'export – à destination de l'Europe ou au-delà – et un nombre réduit de groupes d'abattage en France.

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Je confirme, en tant qu'élu local, que nous avons besoin d'abattoirs. Vous soulignez la forte concentration d'abattoirs, surtout dans les filières bovine et porcine, mais ne pensez-vous pas – et j'adresse là un message à l'État et au Gouvernement – qu'il faut se battre pour conserver un maillage d'abattoirs régionaux, dans la mesure où celui-ci est une condition nécessaire au maintien des éleveurs, au renouvellement des générations et à la lutte contre la déprise ? Des actions sont-elles menées à cette fin ?

Ce matin, nous avons abordé le sujet de l'engraissement avec la Coordination rurale. J'estime qu'il y a un problème culturel en France : dans le bassin allaitant, nous sommes essentiellement des naisseurs et non pas des engraisseurs. Voilà trente ans que nous créons des aides, des systèmes et des incitations pour essayer de garder la valeur ajoutée chez nous. Il s'agit d'engraisser chez nous plutôt que d'envoyer les broutards en Italie. Quelle est votre position à ce sujet ? INTERBEV conduit-elle des actions en ce domaine ? Cela constitue-t-il un enjeu, à votre avis, y compris du point de vue de la lutte contre la déprise et du maintien de la souveraineté en matière de viande bovine et ovine ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Nous travaillons avec deux fédérations, Culture Viande et la FNEAP (Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services). Les groupes privés ne font pas appel à INTERBEV. Lorsque des abattoirs territoriaux sont impliqués, le sujet n'est pas discuté à Paris mais au sein de comités régionaux. On propose des éléments de réflexion, mais il faut avant tout trouver un modèle économique, auquel l'État pourrait contribuer.

Il n'est pas possible de perdre 3 à 4 % d'abattage par an et espérer conserver le même maillage, lequel est très déséquilibré, comme pour le ramassage du lait. J'ai travaillé dans un département où les derniers producteurs de lait ont disparu parce qu'il n'y avait plus de laiterie pour ramasser leur lait.

La contractualisation et le calcul des indicateurs sont, pour nous, la base de la rémunération des acteurs. La filière bovine a en effet besoin que l'on engraisse plus d'animaux en France. Le travail conduit par notre observatoire sur les cohortes de mâles montre que les exportations de broutards diminuent plus vite que les naissances. Il y a donc davantage d'animaux insérés, mais cela n'a d'avenir que si les producteurs s'y retrouvent. L'augmentation de la contractualisation concernant le jeune bovin témoigne d'une prise de conscience.

Je viens d'un territoire où l'on pratique très peu l'engraissement : près de 80 % des mâles sont envoyés en Italie. Mais quand on considère le bassin de production et l'abatteur, il faut aussi penser aux metteurs en marché, qui jouent un rôle important. Aujourd'hui, il est plus facile d'envoyer en Italie un camion de broutards dans lequel l'écart de poids entre le plus lourd et le plus léger est de deux kilos que d'emprunter les circuits français. Pour changer cela, il faut jouer sur la sécurisation et la rémunération.

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Concernant le CETA, il me semble que la question de fond est la réalité du contrôle. N'est-ce pas là le message que nous devons faire passer ? Je ne mets pas en cause les éleveurs canadiens, qui sont peu nombreux à pouvoir exporter des bovins sans hormones, mais s'il suffit d'une attestation sur l'honneur, il y aura forcément des moutons noirs. Comment peut-on concrètement réaliser ces contrôles ? Avez-vous fait des propositions pour que des contrôles soient effectués sur pièces et sur place, comme nous le faisons parfois en notre qualité de parlementaires ? Ce serait l'occasion de dire à nos amis canadiens – mais cela peut concerner d'autres partenaires – qu'il est de notre intérêt commun de mener ce travail ensemble.

Concernant les 300 000 tonnes de viande importées du Brésil, ne vaut-il pas mieux un accord du type du Mercosur, à condition d'avoir les garanties techniques, les clauses miroirs, des engagements et des contrôles sur place ? Cela permettrait d'avoir des certitudes, que nous n'avons pas aujourd'hui, quant à la qualité de la viande importée et la santé du consommateur d'une part, quant aux droits de douane d'autre part.

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

La réponse apportée à votre première question conditionne celle qui pourra être donnée à la seconde. Je ne sais pas comment on contrôle la pollution des voitures ou la qualité des jouets, mais ce qui est certain, c'est que l'on s'est donné les moyens de le faire. Le contrôle est le sujet numéro un. On peut sans doute trouver de meilleures modalités de contrôle que l'examen d'une attestation sur l'honneur, qui s'apparente à une solution extrême. Le contrôle est essentiel, mais l'Union européenne joue aux Bisounours. Je suis agriculteur depuis trente ans : je pense qu'au cours de cette période, le nombre d'agriculteurs a été divisé par quatre et le nombre de contrôleurs multiplié d'un même facteur. Je ne suis pas opposé aux contrôles, mais il faut savoir à quoi ils servent.

On ne peut pas établir des règles en matière de commerce et ne pas les contrôler. Cela ne marche pas. Au pire, il vaut mieux, effectivement, conclure un accord commercial en prévoyant des contrôles, mais aujourd'hui on importe, sans contrôle et en appliquant des droits de douane.

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Je suis d'accord avec vous, il faut exiger, dans le cadre des accords commerciaux, ce à quoi on soumet les exploitants français, à savoir des contrôles sur pièces et sur place très précis. Ce serait plus sain.

On n'entend pas, dans votre propos, de mise en perspective à l'aune de l'évolution de la demande alimentaire mondiale. Est-ce une réflexion que vous intégrez à vos travaux ? Il est question de 2 milliards d'habitants supplémentaires d'ici à 2050 et d'une consommation mondiale de viande en augmentation, laquelle implique un accroissement de la production. On a un peu le sentiment, y compris dans les débats nationaux, que cette mise en perspective à trente ou quarante ans n'est absolument pas intégrée dans les stratégies et les mesures annoncées.

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Nous avons participé, en octobre dernier, au congrès mondial de la viande, aux Pays-Bas, où tous les continents étaient représentés. Le seul qui envisage de limiter sa production est l'Europe. La production et la consommation mondiale de viande bovine augmentent de 1 % par an. On parle de 10 milliards d'habitants à l'horizon 2070, mais, quels que soient les chiffres, tout le monde s'accorde sur le besoin en protéines animales.

On veut enrayer la décapitalisation, mais on nous a mis de nombreux boulets. Encore une fois, les questions centrales sont celles du revenu, de la rentabilité et des perspectives. Le Président de la République a une position claire au sujet du Mercosur, ce dont nous le remercions. Mais on nous parle d'accords avec des pays comme l'Australie. Il ne manquerait plus que l'on négocie l'importation de viande bovine en provenance de l'Inde ! Cette vision des choses plonge dans le doute les éleveurs qui souhaiteraient moderniser leur exploitation ou les jeunes envisageant de s'installer.

On paraît peut-être trop sur la défensive, mais cela s'explique par le fait que nous obéissons à de nombreuses injonctions. Le débat sur la directive relative aux émissions industrielles (IED) en est une illustration : l'élevage bovin viande a failli – chose hallucinante – passer dans le domaine industriel. En maintenant notre modèle, nous manifestons la volonté de protéger le consommateur et d'agir en faveur de l'environnement et du bien-être animal, et l'on voudrait nous appliquer des règles propres aux émissions industrielles ! Il faut redonner de la perspective et de la sécurité.

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

Il règne une ambiance particulière. L'enjeu est de donner envie aux jeunes qui sont en formation de reprendre des exploitations malgré les contraintes. Aujourd'hui, lorsqu'ils s'installent, ils s'orientent plus vers la production végétale que vers l'élevage. Les filières bovine et ovine sont disposées à prendre en considération les évolutions du marché à l'échelle internationale, notamment le besoin en protéines animales, mais encore faut-il que l'on nous donne des perspectives et que l'on construise une dynamique. Sans cela, rien ne se fera.

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Marc Pagès, directeur général d'INTERBEV

Le modèle français est d'inspiration plutôt familiale. Il ne repose pas sur de grands groupes capitalistiques et des systèmes de dizaines de milliers d'animaux. Si cette spécificité française est assez partagée en Europe, ce n'est pas du tout la direction dans laquelle se développe le modèle mondial. Monsieur Forissier, vous seriez surpris de constater combien les choses ont changé en Argentine. On m'explique qu'il ne faut pas confondre le Canada et le Brésil. Or, JBS et Cargill sont les deux principaux producteurs, dans la filière bovine, non seulement au Brésil mais aussi au Canada et en Argentine. Ce sont des groupes qui ont leurs propres productions, avec des feedlots de 30 000 à 125 000 têtes.

Il est parfois difficile d'expliquer au grand public et à l'ensemble de notre représentation que notre système doit être protégé parce qu'il ne s'inscrit pas dans le système mondial de production de viande et que, contrairement à ce dernier, il offre des garanties au citoyen et au consommateur. Les acteurs du système mondial ont quant à eux bien en tête de fournir la protéine qu'il faudra. On peut paraître défensifs sur certains sujets, tout en essayant d'être offensifs sur d'autres. On essaie de vendre notre système sur d'autres marchés, mais la difficulté vient de la singularité de notre système, tant sur le plan économique que sur celui de la production.

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Pour les modes de production que vous évoquez, il n'y a pas de clauses miroirs.

Comme l'indique la Cour des comptes dans son rapport de février dernier, sur les trente-cinq contrôles dont a fait l'objet la filière des bovins viande en 2022 et en 2023, quinze ont révélé une absence de contractualisation et seuls « sept ont conduit à constater la conformité à la loi ». Il y a là un problème. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que la présence de premières propositions, prévue par la loi Egalim 1, et le respect des dispositions sur les prix abusivement bas aient été vérifiés. Même à la périphérie du dispositif de la loi Egalim, on constate l'existence d'un problème de contractualisation.

Le fait que l'on importe 300 000 tonnes du Brésil signifie-t-il que les droits de douane ne suffisent pas à établir une concurrence loyale ?

Avez-vous identifié des intérêts particuliers – financiers ou industriels – qui poussent à la consommation de viande de synthèse, et des leviers d'action – qu'il s'agisse de lobbying ou de financement d'associations – qui défendent ces intérêts ?

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Emmanuel Bernard, président de la section bovine d'INTERBEV

Les droits de douane, fussent-ils de 300 %, ne pourraient combler l'écart entre des modèles sociaux très différents. Nous insistons sur la traçabilité et l'identification de l'origine de tous les produits – ce qui permettrait de détecter, par exemple, de la viande brésilienne dans les plats préparés –, mais nous n'allons pas non plus nous substituer à l'État ou à l'Union européenne, ni nous opposer à tout.

Concernant les cultures de cellules musculaires, j'éviterais d'utiliser le terme de « viande ». Nous nous mobilisons pour que l'on ne mélange pas tout. La dénomination des morceaux doit être précise. Le consommateur doit bénéficier d'une information transparente quant à l'origine de la viande et à la composition d'un produit x ou y. Pour ma part, je suis un épicurien, donc je mange de la viande et des légumes. Cette diversité est source de plaisir. On sera impressionné le jour où on consultera la liste des protéines et des nutriments divers et variés garnissant certaines préparations. Je n'ai pas d'accusation à porter contre telle ou telle structure, mais on sait que certains mettent en avant les protéines végétales. Lors du congrès mondial de la viande, le témoignage d'une entreprise hollandaise nous a permis de constater que ce n'était pas simple technologiquement. Cela ne donne pas très envie non plus, mais mon avis n'est pas objectif.

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Marc Pagès, directeur général d'INTERBEV

Les cellules musculaires cultivées ne sont pas autorisées en Europe. Nous allons surveiller ce que va faire l'Union européenne. Nous avons fait le nécessaire pour assurer une veille sur ces sujets. On nous explique que l'on fabrique ces produits pour nourrir la planète mais la production de l'équivalent d'une carte de crédit coûte entre 25 000 et 30 000 euros. On nous dit ensuite que ce sera pour un marché de niche, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

Lorsqu'on demande à de vrais scientifiques de regarder précisément comment ces cellules sont produites, on s'aperçoit vite que le processus n'est pas si simple. Il exige l'utilisation de beaucoup d'hormones et d'antibiotiques pour les bouillons de culture. La question est de savoir si l'Union européenne fera preuve de cohérence. Les citoyens et les producteurs ont souhaité arrêter l'usage d'hormones et d'antibiotiques. Imagine-t-on à présent que l'on pourrait autoriser des produits conçus au moyen de ces substances ? Des lobbys sont évidemment constitués à Bruxelles pour pousser en ce sens et les start-up spécialisées dans ce domaine récupèrent des millions d'euros de fonds divers et variés. Le combat est à venir. Le gouvernement français nous a fait savoir que cette perspective ne correspondait pas à sa vision des choses, mais il faut s'assurer que ce n'est pas non plus la vision de l'Europe. Il ne faudrait pas qu'à nouveau, on nous dise que, malgré son refus initial, la France est obligée de dire oui parce que l'Union a consenti à cette évolution.

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Il est important que vos confrères européens mènent un travail de sensibilisation auprès de leurs gouvernements, en particulier dans les principaux pays producteurs de viande, lesquels détiennent la majorité au Conseil et au Parlement européen. Le gouvernement français, en particulier le ministre de l'agriculture, a pris des décisions importantes récemment. La France est clairement défavorable à cette évolution. Si ce n'est pas déjà fait, les homologues d'INTERBEV en Allemagne et dans d'autres pays doivent mener une action.

Monsieur Soury, lorsque je vous ai demandé à quand remontait la baisse du cheptel ovin, vous m'avez dit que cela datait des années 1990 et, lorsque je vous en ai demandé la raison, vous m'avez répondu que cela résultait de l'affaire du Rainbow Warrior. Toutefois, on a du mal à comprendre comment ces importations – qui représentent 8 à 12 % de l'ensemble de nos importations de viande ovine – pourraient expliquer à elles seules la division par deux du cheptel français. Votre réponse doit-elle être amendée ou complétée ?

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Patrick Soury, président de la section ovine d'INTERBEV

En effet, il faut l'amender. L'ouverture du marché français, dans les années 1980, à la Nouvelle-Zélande, mais aussi à la Grande-Bretagne, a constitué une onde de choc. Ce n'est pas le seul niveau des importations de Nouvelle-Zélande qui a déstructuré le marché. Il y a eu une arrivée massive d'agneau, de diverses origines, qui a déstructuré les flux commerciaux français au moment de l'affaire du Rainbow Warrior : c'est pourquoi on fait souvent référence à cet événement. Ce phénomène a réduit considérablement le prix de l'agneau : en 1990, je vendais des agneaux 400 francs. On a subi un tsunami qui a déstructuré le commerce français. La réponse, lente, a pris la forme des signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO), qui ont eu pour objet de légitimer la différence de prix auprès du consommateur. Il nous a fallu près de trente ans pour remonter à la surface, parce que l'ensemble de la filière s'est mobilisé. Lorsque les producteurs français entendent que 38 000 tonnes supplémentaires ont été accordées à la Nouvelle-Zélande, cela contribue à l'ambiance que j'ai évoquée.

La séance s'achève à dix-huit heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Nicolas Forissier, M. Grégoire de Fournas, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy